Difficile de trouver un rendez-vous chez un dentiste de ville cette semaine. Du 12 au 18 juin, les praticiens se sont organisés pour faire entendre leur mécontentement. L’arbitrage de la Cour des comptes définissant les nouveaux tarifs des chirurgiens-dentistes, intervenu après l’échec des négociations entre l’Assurance maladie et les syndicats, ne leur convient pas.
Et la mobilisation, organisée par les CCDeLi (Cellules de coordination des dentistes libéraux) dans les départements, semble forte. Sur les 1 105 dentistes libéraux que compte la Gironde, 787 ont, par exemple, rejoint le mouvement, et la plupart sont en grève, d’après Catherine Boule, responsable du CCDeli33. « Certains ont été prévenus de la grève il y a plusieurs semaines, d’autres il y a à peine quelques jours, ajoute-t-elle. Tous n’ont pas pu prendre la semaine entière, car ils avaient déjà des rendez-vous de prévus, qu’ils honorent. Mais ils ne prennent pas de nouveaux patients, ni d’urgences. »
Une mobilisation nationale
Les CCDeLi, créés à la suite de l’arbitrage, se sont organisés indépendamment des syndicats de dentistes, qui n’étaient pas parvenus à s’entendre avec l’Assurance maladie en 2016. Ils ont pu réunir 13 000 libéraux sur toute la France, sur un peu moins de 40 000.
Ils ont organisé cette mobilisation entre les deux tours des législatives, afin de profiter d’une exposition médiatique leur permettant de mobiliser les futurs élus. En Ille-et-Vilaine, le CCDeLi35, initiateur du mouvement, a ainsi pu rencontrer la quasi-totalité des candidats encore en lice, et affirme avoir reçu le soutien de 25 d’entre eux.
Le CCDeLi35 a réuni près de 1 000 manifestants ce mardi à Rennes, soit plus que les dentistes qui ne sont que 600 dans le département. Mobilisés à 80 %, ils ont été rejoints par des assistants dentaires, des prothésistes, des universitaires et même des étudiants, très actifs dans la contestation, notamment sur les réseaux sociaux.
Das les autres départements, la mobilisation est inégale : dans le Calvados et les Charentes-Maritimes, elle a réuni 20 % des libéraux. Dans l'Ain et en Mayenne, 30 %. La Bretagne, organisée très tôt sous l'impulsion de l'action rennaise, fait mieux : 40 % dans le Morbihan, et 50 % dans le Finistère et les Côtes d'Armor. En Ariège et en Gironde, les dentistes font grève à 60 et 70 %. Du côté de Lyon, entre 150 et 200 personnes se sont réunies ce mardi, unique jour de grève prévu, et près d'un praticien sur deux avait fermé son cabinet.
En plus des manifestations organisées à travers le pays, les dentistes en grève développent des événements. Plusieurs cellules ont organisé, avec l’aide des professeurs d’universités, des programmes de formation pour se mettre à jour. Pour le grand public, des consultations rapides ont été mises en place dans des lieux publics et des dépistages ont été organisés dans des écoles ou des EHPAD.
Effets d’annonce
L’arbitrage traduit une volonté du gouvernement de favoriser la prévention, tout en revalorisant les soins conservateurs et en limitant le reste à charge pour les patients. Une stratégie qui ne déplaît pas aux praticiens, mais dont l’application que prévoit l'arbitrage leur paraît contre-productive.
La réforme prévoit en particulier un plafonnement du coût des soins prothétiques, et une augmentation des soins de caries (de 41 à 67 euros). De la poudre aux yeux, pour les CCDeLi. « On veut pouvoir faire de la prévention, insiste Catherine Boule. Mais ces effets d’annonce du gouvernement nous hérissent le poil. »
Une autre vision de la prévention
« Nous disposons maintenant de tout un gradient thérapeutique entre les soins de base et la pose de couronne, explique de son côté la responsable de la cellule CCDeLi35. Mais tous ces soins intermédiaires sont très mal remboursés. Plutôt que ce saupoudrage, nous aimerions que les patients soient incités à venir chez le dentiste plus souvent, et que ces soins conservateurs plus modernes soient valorisés. »
La prévention est mal pensée. « Il faut avoir de l’ambition et du courage pour lancer une vraie politique cohérente, poursuit-elle. Nous avions la possibilité de réorienter la profession vers les soins conservateurs, et vers une vraie politique de prévention. Cela demande des investissements, c’est vrai. Mais ils seront largement amortis à long terme. »
Se pose également le problème de la rémunération. En plafonnant le prix de soins rémunérateurs, la nouvelle convention risque de favoriser une dentisterie à deux vitesses : les gros cabinets se déconventionneront pour pouvoir supporter les investissements lourds auxquels ils ont dû se résoudre pour acquérir du matériel de pointe. De l’autre côté, les petits cabinets continueront à pratiquer « comme dans les années 80 », déplore Catherine Boule.
Déconventionnement massif
La menace du déconventionnement pèse effectivement sur la profession. D’après la responsable du CCDeLi de Gironde, des lettres de demande de déconventionnement ont été transmises à des huissiers. Si la proportion de dentistes libéraux ayant transmis cette lettre devait atteindre 60 ou 80 % des professionnels du département, l’ensemble des demandes serait transmise. Les praticiens libéraux disposeraient alors d’un gros moyen de pression.
En attendant, la nouvelle ministre de la Santé a déjà reçu deux syndicats, et devrait s’entretenir avec le troisième principal d’ici la fin du mois de juin. À sa sortie de réunion, le président de la Fédération des syndicats dentaires libéraux, Philippe Denoyelle, a déclaré avoir trouvé « une oreille attentive » auprès d’Agnès Buzyn. Peut-être un premier pas vers une reprise des négociations.