Après un accident vasculaire cérébral (AVC) ou un infarctus du myocarde, l’aspirine est souvent proposée comme traitement au long cours pour ses propriétés antiagrégantes, afin de limiter les risques de rechute. En Europe, 40 à 60 % des patients en bénéficient en prévention secondaire.
Efficace, peu coûteuse, bénéficiant d’une utilisation bien maîtrisée : ses avantages sont réels. Mais une étude, réalisée par des chercheurs de l’université d’Oxford (Royaume-Uni), et publiée dans le Lancet, vient jeter un pavé dans la mare. Chez les patients de plus de 75 ans, l’aspirine présente un risque important d’hémorragies digestives, même à doses faibles (75 mg/jour dans l’étude).
Les données recueillies montrent un risque décuplé de décès chez les personnes âgées de plus de 75 ans. Les auteurs de l’étude estiment qu’il pourrait être opportun de réévaluer le rapport bénéfice-risque de l’aspirine pour cette population.
Doit-on, et peut-on se passer d’aspirine pour la prévention secondaire ? Le Dr Étienne Puymirat, cardiologue à l’Hôpital européen Georges-Pompidou (Paris), répond à ces questions pour Pourquoidocteur.
Les résultats obtenus par l’équipe d’Oxford sont-ils surprenants ?
Dr Étienne Puymirat : Pas tellement. Mais c’est toujours intéressant d’avoir un peu de recul, en particulier chez les patients âgés, qui sont les plus à risque. On s’aperçoit qu’au-delà de 75 ans, l’augmentation du risque de saignements qui nécessitent une prise en charge médicale est très nette.
Le véritable problème, c’est que les gens qui prescrivent l’aspirine ne sont pas ceux qui voient les malades qui saignent. Quand les patients sont victimes de saignements majeurs, ils vont en service d’urgences ou de réanimation, et nous n’avons pas forcément un retour.
Combien de temps l’aspirine est-elle prescrite en prévention secondaire ?
Dr Étienne Puymirat : En prévention secondaire, après un AVC, un infarctus ou un accident ischémique transitoire (AIT), les antiagrégants plaquettaires sont prescrits à vie. Mais le fond du problème est de savoir si l’aspirine est le bon antiagrégant plaquettaire. Historiquement, c’est le plus ancien, économiquement, c’est le moins cher, ce qui n’est pas inintéressant. Mais c’est probablement celui qui provoque le plus de complications en matière de saignement, et qui est probablement le moins puissant sur l’action antiagrégante.
D’autres antiagrégants plaquettaires existent, comme le Clopidogrel, le Ticagrelor ou le Prasugrel, pour citer les plus récents, qui font en principe plus saigner, mais ils ont toujours été utilisés en association avec l’aspirine. Du coup, on peut se demander si ce n’est pas plutôt celle-ci qui serait plutôt à remplacer. Il faut d’autres études pour pouvoir répondre à cette question.
Faut-il prescrire des IPP systématiquement ?
Dr Étienne Puymirat : L’étude montre que les IPP réduisent significativement les saignements digestifs, de l’ordre de 70 %. La tendance, pour accompagner les antiagrégants plaquettaires, c’est d’avoir une prescription large de ces IPP chez les patients âgés de plus de 75 ans. Chez les autres, ils sont plutôt prescrits en cas d’antécédents d’ulcères, ou chez ceux qui prennent deux antiagrégants, après un accident ischémique aigu.
En prévention primaire, ils ne sont pas forcément prescrits, mais quand on voit les données de l’étude, on a le sentiment qu’une prescription plus large encore ne serait pas du luxe. D’autant plus qu’ils présentent très peu d’effets secondaires, et sont très bien supportés. Après, c’est un traitement de plus chez des patients souvent polymédicamentés.
Les résultats remettent-ils en cause la prescription d’aspirine en prévention secondaire ?
Dr Étienne Puymirat : Clairement, non. On a besoin d’un antithrombotique au long cours pour les patients qui ont un antécédent d’infarctus, d’AVC ou d’AIT. Les recommandations sont claires, et la prescription d’aspirine arrange tout le monde. Ça ne coûte pas cher, le bénéfice est démontré. Pour la remplacer, il faudrait que des études montrent un bénéfice supérieur. C’est aux laboratoires de le faire.