Les consommateurs français les regardent avec circonspection. Quand en Angleterre, les nouveaux produits de synthèse (NPS) semblent rencontrer un certain succès, dans l’Hexagone, ces drogues aux noms bien compliqués – 3-MMC, 25-x-NBOMe, 4-methylethylcathinone… - n’ont pas inondé le marché de la consommation de drogue. Pas encore, du moins.
Les NPS miment les effets de la MDMA, du LSD, des amphétamines et autres drogues classiques. La structure de leur molécule s’en rapproche, sans toutefois être la même. Ils s’acquièrent à faibles coûts sur des sites de vente en ligne, depuis quelques années. De nombreuses inconnues entourent ces nouveaux produits ; leurs effets indésirables, l’effet-dose, leur toxicité… tout cela reste à ce jour très peu documenté.
Selon le Baromètre santé de 2014, 1,7 % des 18-64 ans ont déjà consommé un cannabinoïde de synthèse en France. L’Eurobaromètre évoque une fourchette de 4 à 7 % des 18-34 ans ayant déjà testé un NPS en France. Des taux certes inférieurs à ceux observés dans d’autres pays européens, mais qui interrogent sur cette nouvelle offre et sur son potentiel à séduire les usagers de drogues, notamment les plus jeunes. Magali Martinez, chargée d’études au pôle « Tendances récentes et nouvelles drogues » à l’Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies (OFDT), revient sur ces questions.
Pourquoi, à ce jour, les NPS sont-ils moins consommés en France que dans d’autres pays ?
Magali Martinez : Chaque pays dispose de certains paramètres structurants qui formatent la manière dont les NPS s’implantent. L’accès aux produits classiques, leur disponibilité, en est un. Par exemple, on a pu observer des taux d’expérimentation de cannabinoïdes de synthèse très importants dans certaines régions d’Allemagne où il existait une pénurie d’offre de cannabis naturel.
La France au contraire enregistre l’un des plus forts niveaux d’expérimentation et de consommation du cannabis, c’est aussi un carrefour principal de trafic en Europe. Nous ne sommes pas du tout en situation de pénurie – de même que pour les autres produits classiques. Cela a une influence sur l’implantation des NPS.
Par ailleurs, l’Angleterre, l’Irlande ou en Europe centrale, il existe des « smartshop », où ces produits sont en vente libre (ou l’étaient). Ces relais physiques changent complètement la donne, notamment au niveau des jeunes qui ont un accès direct aux NPS. Les substances y sont présentées de manière très commerciale, attractive. En France, ces produits ne sont disponibles qu’en ligne, le plus souvent sous leur nom de molécule, avec un marketing beaucoup moins développé.
La consommation de NPS est-elle en train d’augmenter en France ?
Magali Martinez : On ne peut pas dire qu’il y a une hausse de l’usage, on commence à peine à poser des bases pour évaluer. Les chiffres dont on dispose montrent des taux d’expérimentation, nous n’avons pas de recul sur de la consommation régulière. Ce qui est sûr, c’est que depuis deux-trois ans, un problème sanitaire émerge lié à la prise en charge des personnes qui développent une consommation chronique de ces produits, ou qui connaissent des intoxications aiguës graves. On observe ces accidents notamment au sein de la communauté gay qui pratique le slam ou le chemsex. Compte tenu des décès rapportés ces dernières années, il y a pour ce groupe d’usagers un véritable enjeu sanitaire.
En France, les NPS qui semblent avoir un écho important sont les cathinones et en particulier la 3-MMC et 4-MEC. Mais il faut comprendre que les NPS se répartissent en plusieurs familles chimiques aux effets très variés. En fonction du NPS, on se réfère à des groupes d’usagers très différents. Par exemple, les cathinones attirent plutôt les consommateurs de stimulants, en remplacement de la cocaïne et de la MDMA, et plutôt des injecteurs.
Ces produits sont-ils susceptibles d’attirer un public moins initié ?
Magali Martinez : Effectivement, on pense que certains NPS, comme des stimulants plus fonctionnels, moins empathogènes que la 3-MMC, peuvent être potentiellement « intéressants » pour des consommateurs qui ne se définissent pas comme tels. Mais il faut modérer les choses. Les NPS font très peur, en raison de leur nombre très élevé. On a tendance à penser à la Grande Vague de Kanagawa, on imagine qu’ils vont tout balayer sur leur passage, mais ce n’est pas le cas.
Au final, on estime qu’une dizaine de molécules seulement ont un réel potentiel d’ancrage dans le paysage français. Ces usages concernent plutôt un public consommateur de produits que vers une personne lambda qui décide un jour de tester un NPS.
Par ailleurs, pour les consommateurs français, les produits classiques sont un label, une marque qui suscite plus de confiance qu’un nom inconnu. Enfin, les teneurs en principe actif des drogues traditionnelles sont globalement à la hausse. Donc on n’a pas de raison d’avoir un déport immédiat.
A plus long terme, les NPS pourraient-ils remplacer les produits classiques ?
Magali Martinez : Le phénomène des NPS se construit en effet sur du très long terme. C’est une nouvelle offre qui va s’implanter, une demande émergera, elle est déjà en construction. C’est vrai que le moyen d’accès, par Internet, correspond davantage aux codes des jeunes générations, on peut imaginer qu’elles s’approprient ces substances au fil du temps.
Mais on observe aussi que le côté naturel des substances est de nouveau valorisé, notamment en milieu festif alternatif. On a ainsi vu réapparaître la DMT (plante psychotrope traditionnellement utilisée par les chamans, ndlr). Le côté très chimique des NPS peut rebuter des usagers et s’inscrire à contre-courant d’un mouvement qui se voudrait plus proche de la nature, y compris dans les produits consommés.