Quand le gouvernement précédent a ouvert la voie aux actions de groupe en France, une image a surgi, tout droit venue des Etats-Unis. Celles de ces procès gigantesques qui font trembler les Grands – Monsanto, Big Tobacco et tant d’autres. Le nom d’Erin Brockovich était sur toutes les lèvres.
Alors que la première action de classe en matière de santé démarre en France avec la Dépakine, plusieurs spécialistes affichent toutefois des réserves sur ce dispositif, sa capacité à indemniser les victimes dans des délais raisonnables, sa valeur ajoutée par rapport aux autres procédures. Marie-Odile Bertella-Geffroy, avocate en santé publique, ancienne juge d’instruction au pôle de santé publique du Tribunal de grande instance de Paris, a instruit les affaires de l’amiante, du sang contaminé. Elle exprime des doutes sur ces recours collectifs.
Ces actions de groupe sont-elles un outil efficace ?
Marie-Odile Bertella-Geffroy - Je suis assez sceptique. Elles n’accélèrent pas la procédure, ne la simplifient pas non plus. Si l’indemnisation pouvait survenir rapidement, j’y serais favorable mais en l’état, rien n’indique que ce sera le cas. Le décret autorise un délai de cinq ans avant d’entamer la deuxième phase de la procédure, il n’y a pas de raison que les juges n’utilisent pas ce temps.
Les victimes se lassent, elles ne veulent pas s’engager dans de longues procédures. Pour la Dépakine, le lien de causalité est déjà bien renseigné, le recours individuel peut aller vite. Finalement, en allant au civil [en procédure individuelle, ndlr], vous obtenez des indemnités plus élevées, et c’est moins long…
Par ailleurs, les actions de groupe n’ont pas été confiées à des juridictions spécialisées. Or, au pénal comme au civil, il faut connaître de près ces affaires de santé publique, choisir les bons experts… Et ils sont rares. Même au Pôle santé, nous n’étions pas spécialisés, j’ai dû me former sur le tas ! Le choix des experts et du juge sera déterminant.
Ces actions de groupe ne renforcent-elles pas le pouvoir des victimes ?
Marie-Odile Bertella-Geffroy - Médiatiquement, elles exposent les laboratoires, ce qui peut renforcer la pression sur eux, mais les procédures civiles ou pénales en font autant. A mon sens, c’est une affaire qui doit se juger au pénal, car cela offre une plus grande force de frappe.
Lorsque j’étais juge, pour savoir quelle négligence avait été commise, quelle imprudence avait donné lieu à ces dommages corporels, nous faisions des saisies de tous les dossiers médicaux, dans tous les hôpitaux où étaient passés les patients, nous avions accès aux documents que les victimes ne pouvaient pas se procurer, dans les laboratoires, les administrations... C’est au pénal que surgit la vérité. Là, dans l’action de groupe, les associations vont devoir se débrouiller seules et elles n’auront pas ces documents.
Le pénal ouvre également la voie à des fonds d’indemnisation, on l’a vu avec le sang contaminé, l’hormone de croissance. Ces fonds sont pourvus avec l’argent de l’Etat (c’est là sa faiblesse) qui demande éventuellement au laboratoire des recouvrements lorsque sa responsabilité est reconnue. Si l’action de groupe parvient à inverser la charge et faire payer la totalité des indemnités par le laboratoire, alors là, ce serait vraiment intéressant.
Pourquoi selon vous les autorités ont-elles ouvert à la voie à ce dispositif ?
Marie-Odile Bertella-Geffroy : Je pense que c’était une demande des associations, mais les autorités n’y ont accédé qu’à demi-mot. Elles craignaient probablement une déferlante de procès, comme aux Etats-Unis. En n’autorisant que les associations et en interdisant les avocats à former des actions de groupe, les législateurs ont voulu restreindre le nombre de procédures.
Vous n’imaginez pas le nombre de veuves de personnes décédées de l’amiante, qui n’ont jamais rien demandé… Les montants d’indemnisation pour toutes les victimes potentielles sont énormes, l’Etat craignait une facture trop salée.
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