Le Comité d'éthique doit trancher sur l'ouverture de la PMA aux homosexuelles et aux célibataires. Le sujet divise professionnels et élus.
Le Pr Jean-François Delfraissy a promis « des positions claires ». Après quatre ans et demi de réflexion, on ne saurait attendre moins du Comité consultatif national d’éthique et de son nouveau président. Ce 27 juin, le CCNE rendra un avis très attendu sur l’accès à la procréation médicalement assistée (PMA). Il devrait déterminer l’évolution de la politique française en la matière.
Le sujet divise en France. Selon un sondage réalisé par BVA pour la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques des ministères sociaux (Drees), 61 % des Français sont favorables à l'ouverture de la PMA aux couples de femmes. A l'occasion de l'avis du CCNE, Pourquoidocteur a interrogé les défenseurs et ceux qui émettent des réserves à l'ouverture de la PMA à des personnes fertiles.
La loi actuelle est claire. L’assistance médicale à la procréation est réservée aux couples dont l’infertilité est avérée médicalement, ou lorsqu’un des conjoints risque de transmettre une maladie grave à sa progéniture. Ces termes ont été fixés par la loi de bioéthique de 2011.
Les bébés Thalys
Deux limites supplémentaires s’opposent à la PMA : seuls les couples hétérosexuels en âge de procréer peuvent en bénéficier, et il est impossible de recourir à un double don de gamètes. En l’état, une femme célibataire ou un couple homosexuel féminin ne peuvent donc pas entamer le processus.
Ouvrir l’accès à ces populations, c’est justement l’objet d'une des réflexions du CCNE, qui étudie aussi la possibilité de l’autoconservation d’ovocytes non médicale et de la gestation pour autrui (GPA).
Aux yeux du Dr Joëlle Belaisch-Allart, cela ne fait aucun doute : la France doit assouplir sa position. « Il serait logique que la PMA soit autorisée aux femmes homosexuelles, tranche le chef du service de médecine de la reproduction au Centre hospitalier des Quatre Villes à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine). De nombreuses patientes homosexuelles vont déjà faire des PMA à l’étranger. »
La Belgique figure parmi les destinations prioritaires de ces couples. A tel point que la méthode est passée dans le langage courant. On parle désormais de faire un « Bébé Thalys », du nom de la compagnie qui dessert la destination.
Pas d’impact néfaste
A l’heure de la libre circulation des individus, appliquer une loi stricte n’a pas de sens, car elle est facilement contournée. « Une loi doit être universelle pour être respectée, et fondée sur des preuves scientifiques – non pas des croyances », estime Joëlle Belaisch-Allart. La porosité des frontières empêche cela, et les pratiques agressives des cliniques étrangères n’aident pas. Et les femmes qui veulent être mères à un âge avancé bénéficient déjà de souplesse.
Le principe d’égalité plaide donc en faveur d’un accès plus large à la PMA. « Au niveau législatif, les couples sont égaux en droits », reconnaît le Dr Jean Leonetti, rapporteur de la loi de bioéthique de 2011 et maire d’Antibes (Alpes-Maritimes).
Ces arguments sont d’autant plus solides que, sur le plan scientifique et sociologique, rien ne permet d’affirmer qu’un enfant de couple homosexuel est défavorisé. « L’immense majorité des enquêtes montre que ces enfants vont très bien dans tous les domaines », rassure le Dr Belaisch-Allart.
Des dépenses limitées
Mais l’argument financier pourrait bien nuire à un assouplissement de l’accès à la PMA. En comptant la stimulation ovarienne, le processus coûte environ 4 000 euros. En ne prenant en compte que l’insémination, 500 euros restent à débourser.
« Quand j’étais au comité d’éthique, entre 2009 et 2013, on est arrivé à la conclusion qu’il fallait autoriser sans encourager et sans prendre en charge », admet Joëlle Belaisch-Allart. Une conclusion du groupe de travail de l'époque qui n'a pas été suivie d’avis. Mais la spécialiste de l’infertilité maintient sa position. Il est envisageable de ne pas rembourser, avec un régime d’exception géré par un comité d’expert pour les femmes qui ne pourraient pas payer la procédure.
De son côté, Jean Leonetti balaie la question d’un revers de main. « A partir du moment où on autorise la PMA, on la remboursera, estime l’élu des Alpes-Maritimes. Le coût ne devrait pas être insupportable au vu des dépenses de santé. »
Faire un bébé toute seule
C’est, en réalité, sur un tout autre domaine que le débat sur la PMA achoppe : celui de la société. La médecine doit-elle se limiter au soin des pathologies, ou peut-elle aller plus loin ? « Le débat n’est ni anodin ni simple, admet Jean Leonetti. Il soulève la question d’une stérilité sociale. » Or, répondre à cette interrogation risque de s’avérer délicat.
D’autant que si la PMA est élargie aux femmes homosexuelles, elle pourrait aussi être autorisée aux femmes célibataires. Ce qui soulève davantage d’objections. Joëlle Belaisch-Allart fait preuve de prudence sur le sujet. « Je n’y suis pas opposée, mais je pense qu’il faut y réfléchir beaucoup, avance-t-elle. Assumer un enfant seule dans la vraie vie, ça n’est pas simple. »
Jean Leonetti fait, pour sa part, appel aux valeurs familiales traditionnelles. « La question est de savoir s’il est juste de laisser naître un enfant sans père », résume le député qui fait appel à la représentation de la figure paternelle. « On permet les adoptions monoparentales, poursuit-il, ce qui limite l’identification sociale du parent sur une seule personne. »
Un marchepied vers la GPA ?
Mais les opposants à un assouplissement craignent surtout une chose : que la PMA élargie constitue un premier pas vers la gestation pour autrui (GPA). Le député des Alpes-Maritimes ne fait pas exception.
« Comment fera-t-on quand les homosexuels de sexe masculin réclameront leur accès à la procréation ?, interroge Jean Leonetti. C’est un argument auquel je suis sensible, parce que les portes entrebâillées finissent par s’ouvrir. »
C’est donc sur un vrai débat éthique et sociétal que doit trancher le CCNE. Car depuis la loi de bioéthique de 2011, la société a évolué. Mariage pour tous, adoption plénière par des couples homosexuels… Nombre de barrières ont été dépassées, y compris dans le domaine médical.
« Avant, il y avait trois étapes : la génétique, la grossesse et l’éducation. La médecine a réussi à dissocier les trois, résume Jean Leonetti. Il y a maintenant des mères génétiques, des mères porteuses et des mères sociales. »
Le Comité d’éthique aura à faire le point sur ce qui est acceptable dans la France actuelle. Et à poser les limites. Car c’est tout l’objet de la bioéthique : autoriser sous conditions, ou interdire avec possibilité de dérogation.
Regardez l'émission L'invité santé de pourquoidocteur
avec le Pr Jacques Milliez diffusée le 22 juin 2017