Les non-lieux vont pleuvoir. Vingt ans d’instruction de l’affaire de l’amiante auront finalement conduit à cela : rien. Le parquet de Paris a demandé la fin des investigations pénales, arguant de l’impossibilité de dater la contamination des employés. Une vingtaine de dossiers pourraient déboucher sur des non-lieux.
Comment expliquer une telle décision du ministère, alors même que les pathologies de nombreuses victimes ont été reconnues en maladies professionnelles ? Alors que 10 à 20 % des cancers du poumon sont imputables à l’amiante, dont l’exposition pourrait provoquer jusqu’à 100 000 décès d’ici 2025 ? N’y a-t-il donc aucun responsable dans cette affaire ? Marie-Odile Bertella-Geffroy, avocate, était juge d’instruction au pôle Santé publique du Tribunal de Grande Instance de Paris. Elle revient sur cette décision.
Comment interprétez-vous la décision du parquet ?
Marie-Odile Bertella-Geffroy : Elle est pour le moins décevante. Dans des décisions antérieures, ce sont les responsables administratifs et politiques qui ont été mis hors de cause. Cette fois, c’est au tour des PDG et directeurs d’usines, alors qu’ils exposaient en connaissance de cause des travailleurs à l’amiante.
Le parquet fait siens les arguments des personnes mises en cause. Pour se défendre, les PDG des usines d’amiante expliquaient que les victimes devaient prouver qu’elles avaient été contaminées au cours de leurs propres fonctions. C’est un coup d’arrêt général.
Mais cette contamination peut-elle être démontrée ?
M-O Bertella-Geffroy : Elle l’est par l’exposition. Contrairement aux autres dossiers de santé publique, où toute la difficulté réside dans la démonstration d’un lien de causalité entre certaines pathologies et les infractions retenues, l’amiante est très bien renseigné. Typiquement, le mésothéliome est un cancer signé « amiante ».
La survenue de ces pathologies peut avoir lieu dès la première exposition. Seule la période d’exposition compte et cet élément est aisément démontrable. L’Italie, qui avait fait condamner en Cour d’Assises les PDG d’Eternit Italie, a aujourd’hui une loi qui criminalise l’exposition consciente à un danger de mort dans ce type d’affaire de santé publique.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées quand vous avez instruit l’affaire ?
M-O Bertella-Geffroy : Le manque de moyens, et l’opposition du Parquet à la jonction des dossiers importants impliquant à la fois les décisionnaires administratifs et politiques et les industriels. Tout est lié, bien sûr.