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Au Canada

Variole : des chercheurs synthétisent le virus pour 100 000 euros

Par Jonathan Herchkovitch

Avec du matériel génétique commandé par internet, il serait possible de recréer le virus de la variole, « sans connaissances ou compétences exceptionnelles en biochimie ».

CDC/ Jean Roy

L’avancée scientifique réalisée par un chercheur canadien et son équipe est importante. David Evans, professeur de virologie et d’immunologie à l’université de l’Alberta à Edmonton (Canada), est parvenu à recréer le virus de la variole.

Un résultat intéressant, même s’il ne s’agit pas de la souche humaine. Les chercheurs ont travaillé sur une version équine du virus, qui ne touche pas l’homme. Mais sa synthèse soulève à nouveau des inquiétudes sur la dangerosité du virus, et pose le problème de la publication de recherches pouvant être utilisées à des fins bioterroristes.

Un puzzle d’ADN

Ce n’est pas la première fois qu’un virus est totalement synthétisé. En 2002, celui de la poliomyélite avait été recréé à partir de fragments, et introduit dans des cellules, où sa réplication avait débuté.

Mais avec le virus de la variole, la tâche est plus ardue. Parce qu’il est bien plus complexe, mais aussi parce que son introduction dans une cellule ne suffit pas à la réplication. Pour y parvenir, les chercheurs canadiens ont commandé des fragments d’ADN à une entreprise qui les commercialise.

Ils ont ainsi reçu des séquences qu’ils ont pu assembler pour recréer un virus, qu’ils ont par la suite introduit dans des cellules déjà infectées par un autre type de virus de la même famille. La réplication a débuté, et ils ont pu cultiver, séquencer et caractériser le virus obtenu.

Bioterrorisme

La nouvelle aurait pu passer inaperçue, comme beaucoup d’avancées scientifiques. Mais elle a soulevé de nombreuses inquiétudes, pour deux raisons. D’une part, la variole humaine, maladie contagieuse et mortelle dans un tiers des cas, a été éradiquée de la surface du globe en 1979. Seuls deux laboratoires de haute sécurité, aux États-Unis et en Russie, en ont gardé des souches. Le fait de pouvoir le recréer relance ainsi un risque épidémique.

Mais le point le plus dérangeant que soulèvent ces résultats est sans doute la relative facilité avec laquelle les chercheurs sont parvenus à le recréer. Le matériel génétique a été commandé par internet, pour environ 100 000 dollars (88 000 euros), et sa synthèse « n’a pas requis de connaissances ou de compétences exceptionnelles en biochimie », d’après un rapport issu d’une réunion du comité consultatif sur le virus de la variole à l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). David Evans avait en effet discuté de ses résultats avec le comité en novembre 2016.

Changement de paradigme

Le risque bioterroriste est donc au central. Maintenant qu’il est démontré que la création de virus à partir de fragments d’ADN – notamment de certains parmi les plus dangereux – est possible, les précautions mises en place au niveau international apparaissent de plus en plus vaines.

La lutte entre « destructionists » et « retentionists » – c’est-à-dire entre ceux qui sont favorables à l’éradication totale du virus de la surface du globe, et en particulier des souches conservées par les deux laboratoires russe et américain, et ceux qui souhaitent les conserver pour continuer la recherche et le développement de vaccins – devient, elle aussi, caduque.

Législation à revoir 

Des révisions de législation s'imposent au niveau international. David Evans a obtenu l’autorisation de travailler sur le virus car il s’agissait de la variole équine. Mais « il n’y a pas de doute à avoir. Si c’est possible pour la variole équine, c’est possible pour la variole humaine », estime Gerd Sutter, virologue à l’université Ludwig Maximilians de Munich, dans un article de la revue ScienceEt la régulation du commerce des séquences ADN synthétiques semble complexe.

« Le monde doit juste accepter le fait que nous pouvons le faire, et nous devons trouver la meilleure stratégie pour gérer cette situation », estime, quant à lui, Davis Evans. Car cette découverte rentre dans la catégorie des recherches « dual-use », c’est-à-dire dont les résultats peuvent être utilisés à bon comme à mauvais escient.

Une dualité qui rend les éditeurs de presse scientifique frileux. Ainsi, Science et Nature communications n'ont pas souhaité publier l'article de l'université de l'Alberta. Un troisième éditeur a été approché. 

Alors qu’elle soulève à nouveau des inquiétudes sur les risques d’épidémie (orchestrée ou non), elle apporte aussi de nouveaux éléments pour le développement de vaccins. Le vaccin contre la variole est efficace, mais provoque des réactions particulièrement sévères chez une part restreinte de personnes. Un nouveau vaccin plus sûr serait le bienvenu, pour être utilisé lors de contaminations en provenance d’animaux (zoonoses).