Retirez sa pipe à Maigret, et sa cigarette à Cruella. La perception du personnage est-elle la même ? Il faudrait, dans un cas comme dans l’autre, s’y habituer. Les politiques américaines et françaises en matière de tabagisme à l’écran incitent les productions à réduire les apparitions de la cigarette à l’écran, mais les mesures semblent s’essouffler.
D’après une analyse des Centers for disease control and prevention (CDC) américains, la cigarette est en effet de plus en plus présente au cinéma. Si le nombre de films où elle apparaît est en recul - 41 % en 2016 contre 45 % en 2010 -, le nombre d’apparitions est en revanche en hausse. Et pas qu’un peu : dans la même période, il aurait grimpé de 72 % !
Plus de 15 cartouches en 2016
Pour faire ces observations, les chercheurs des CDC ont analysé tous les films du top 10 du box-office américain, et cela pour chaque semaine entre 2010 et 2016. En 2010, la cigarette - ou la pipe, le narguilé, la cigarette électronique… - est apparue 1824 fois. En 2016, ce chiffre atteignait 3145 soit, en nombre de cigarettes, l’équivalent de plus de 15 cartouches.
Et les films pour enfants et adolescents ne sont pas épargnés. Ils sont encore un sur quatre à les faire apparaître, et même plus d’un sur trois pour les films interdits au moins de 13 ans.
Des politiques à bout de souffle
L’histoire avait pourtant bien commencé. La baisse amorcée en 2005 avait permis de diviser par deux le nombre de ces apparitions en 2010, toujours dans les films américains. Une tendance qui aurait dû faire presque disparaître totalement la cigarette des salles de cinéma, si elle s’était poursuivie.
Malheureusement, depuis 2010, les efforts semblent s’être réduits. Hasard ou activisme des lobbys du tabac ? L’étude ne le dit pas, mais pointe du doigt la concentration d’apparitions dans un nombre plus restreint de films.
Financements publics
Elle attaque aussi les financements. Entre 2010 et 2016, 24 États américains ont subventionné et accordé des réductions d’impôts à hauteur de 3,5 milliards de dollars à des productions laissant apparaître le tabac à l’écran. Même à des productions pour enfants.
Les experts des CDC aimeraient que ces subventions ne soient plus attribuées sans engagement des producteurs. Ils proposent aussi, pour protéger les plus jeunes, que tous les films laissant apparaître un produit du tabac soient estampillés d’un avertissement correspondant à une interdiction du film aux mineurs de moins de 17 ans non accompagnés. Les études effectuées montrent que cette dernière mesure serait aussi efficace que d’augmenter le paquet de cigarettes de 6 à 7,50 dollars.
La France ne fait pas mieux
En France, le fort taux de tabagisme trouve un écho dans le cinéma. Une étude réalisée par Ipsos et la Ligue contre le cancer avait révélé qu’entre 2005 et 2010, 80 % des films analysés comportaient au moins une séquence de tabagisme. Dans 30 films, ces scènes représentaient même 99 minutes, soit plus d’une heure et demie.
La loi Evin prévoyait pourtant une interdiction du placement des produits du tabac dans les productions télévisuelles. Mais cette interdiction serait souvent détournée. Il est en effet possible de faire apparaître des scènes de tabagisme lorsque l’effet cinématographique le requiert, pour des questions d’ambiance ou de réalité historique. Un film sur Gainsbourg sans sa cigarette paraît en effet délicat à réaliser.
Deux à trois fois plus de risques pour les jeunes
Chaque année, le tabagisme tue plus de 7 millions de personnes dans le monde. C’est 7 fois plus que le Sida et 4 fois plus que la tuberculose. Face aux difficultés de sevrage, c’est du côté de la prévention que le travail est le plus rentable.
Et le cinéma a son rôle à jouer. Une étude américaine publiée en 2012 montre que les enfants les plus exposés par le cinéma au tabagisme sont deux à trois fois plus susceptibles de devenir des fumeurs à leur tour.
Si la tendance actuelle se poursuit, 5,6 millions de jeunes américains mourront de maladies liées au tabagisme. Une bonne raison de limiter l’apparition des produits du tabac à l’écran, même quitte à perdre une partie de son impact sur le scénario.