Philip Morris International (PMI) ne mourra pas sans combattre. Le géant de l’industrie du tabac lutte pour contrecarrer les mesures prises au niveau international par les différentes institutions qui tentent de faire baisser la consommation. Et pour y parvenir, elle dispose d’une armée de lobbyistes, qui n’hésitent pas à s’immiscer dans des débats où il ne sont pas les bienvenus.
C’est ce que révèle l’agence Reuters, en publiant des milliers de documents internes à la compagnie. Ils exposent les méthodes de PMI pour empêcher l’application du paquet neutre, déjà en place en Australie, en France et au Royaume-Uni, ou encore pour assouplir les résolutions de la convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé pour la lutte anti-tabac (FCTC). Un traité comparé dans une présentation PowerPoint de PMI, datant de 2014, comme un « train fou de régulations » pilotées par « des extrémistes anti-tabac ».
Détourner la discussion
Pour le paquet neutre, l’idée est simple : attaquer sur le côté juridique. Ils tentent de faire passer l’idée comme contraire aux accords commerciaux internationaux, censés protéger les marques. PMI exhorte ses employés à faire « blocus » et à « prendre le contrôle sur les articles de presse ». L’entreprise a d’ailleurs tenté d’attaquer légalement la décision, sans succès.
Mais elle était appuyée par cinq pays, qui poursuivent l’Australie pour son introduction du paquet neutre devant l’Organisation mondiale du commerce, qui doit encore donner son verdict, rappelle Reuters.
Des réunions secrètes
Dans les documents publiés par l’agence de presse britannique se trouve également un grand nombre de communications et de plans d’action pour infiltrer les discussions autour de la FCTC, pour lesquelles des congrès des anti-tabac sont organisés tous les deux ans.
Ainsi, les débats organisés en 2016 à New Delhi ont été l’objet d’un drôle de manège. Alors que des représentants de Japan Tobacco International et British American Tobacco Plc faisaient la queue pour tenter de rentrer, en vain, Philip Morris avait retenu ses effectifs, sachant qu’ils n’y seraient pas les bienvenus.
Mais ils n’étaient pas bien loin, à seulement une heure du lieu de réunion. Ils ont reçu, dans leur hôtel et en secret, des délégations officielles, comme celle du gouvernement du Vietnam, ainsi que d’autres membres du groupe chargé de rédiger le traité anti-tabac supervisé par l’OMS.
Une guerre des nerfs et de l’argent
Les situations évoluent parfois à la limite entre le cocasse et le pathétique. À Moscou, en 2014, pendant la précédente convention, les organisateurs avaient dû fermer les portes après avoir repéré une utilisation abusive des badges destinés au public par les lobbyistes du tabac.
« C’est une véritable guerre », explique Vera Luiza da Costa e Silva, directrice du secrétariat du traité FCTC. Et une guerre bien déséquilibrée. Face aux 19 membres de ce secrétariat, dont le budget annuel total s’élève à 6 millions de dollars, 600 lobbyistes chevronnés, et cela rien que chez Philip Morris, dont le bénéfice annuel net s’élève à 7 milliards de dollars.
Pour contrer l’influence des lobbys du tabac sur les instances nationales et internationales, le petit groupe du FCTC, qui siège à l’OMS à Genève (Suisse), ne dépense que 460 000 dollars annuellement. Même soutenu par des ligues anti-tabac, le combat semble déséquilibré.
Moins de santé, plus d’argent
Une autre stratégie payante pour PMI et les industriels du tabac : tenter de faire baisser le nombre de représentants de la santé dans les délégations qui négocient les détails du traité. Et ça fonctionne : depuis 2006, le nombre de représentants de ministères comme celui des finances, du commerce ou de l’agriculture est en forte hausse, au détriment de la santé. Ces représentants sont en effet moins sensibles au volet sanitaire, et plus aux apports financiers et fiscaux.
« Certaines personnes pensent que, sur le tabac, le combat est déjà gagné. En aucun cas! L’industrie du tabac est plus puissante que jamais », déplore l’ancien ministre de la Santé finlandais, Pekka Puska, qui est membre du comité FCTC.
Chaque année, le tabagisme tue plus de 7 millions de personnes dans le monde. Depuis 2005 et la mise en application du FCTC, la consommation mondiale n’a baissé que de 1,9 %.