Les changements ont été considérables ces dernières années. Le pontage coronaire est devenu une opération de routine, et malgré le manque de donneurs, 350 cœurs sont greffés chaque année en France… En attendant le cœur total artificiel qui va bientôt être implanté pour la première fois chez l’homme.
Les réponses avec le Pr Jean-Noël Fabiani,
chirurgien cardiaque à l’Hôpital Européen Georges Pompidou (Paris)
pourquoidocteur : L’une des interventions les plus courantes est le pontage coronaire. Comment faites-vous ?
Pr Jean-Noël Fabiani : C’est une opération des plus fréquentes. Dans mon service, nous en avons au minimum un cas par jour, sinon plus. L’intervention est très simple ; comme son nom l’indique, on crée un pont entre l’aorte, qui est la grosse artère du cœur, et l’artère coronaire qui est malade, qui est rétrécie à un endroit. Le pontage passe au-dessus du rétrécissement. Pour le réaliser, le plus souvent on va prendre les artères mammaires, qui sont des artères de la poitrine et qui vont normalement alimenter les muscles pectoraux. Mais les muscles pectoraux se passent assez bien de vascularisation. De plus, l’artère mammaire a deux qualités formidables : elle est à peu près de la taille des artères coronaires, et elle n’est jamais atteinte – on ignore pourquoi – par l’athérosclérose, la maladie qui bouche les artères du cœur. Et par bonheur, ces artères mammaires sont à quelques centimètres des artères du cœur, il suffit pour nous de les dériver et de les coudre. Pour cela, il est nécessaire mettre de grosses lunettes, parce qu’elles mesurent 2 millimètres. Le résultat est que l’on crée une nouvelle artère coronaire grâce à ces artères mammaires.
Pour atteindre le cœur, vous êtes obligé de faire une grande cicatrice ?
Pr Jean-Noël Fabiani : On pratique une incision quand on a plusieurs pontages à faire. Cette incision est appelée sternotomie médiane. On ouvre le sternum, l’os qui est au milieu de la poitrine. Mais dans certains cas, on peut réaliser cette opération grâce aux techniques de vidéo-chirurgie.
Pour opérer, le cœur doit être arrêté mais il faut bien que le corps continue à être alimenté. Comment procède-t-on ?
Pr Jean-Noël Fabiani : Nous utilisons une machine qu’on appelle le « cœur-poumons artificiel ». C’était très rudimentaire au départ, comme souvent en médecine. Ce sont les grands bricoleurs qui font les grands progrès. Cette machine fait tout le travail du cœur et du poumon pendant toute la durée de l’intervention. C’est-à-dire que l’on exclue le cœur et le poumon du système. Le cœur, c’est une pompe et le poumon un échangeur qui permet à l’oxygène de venir dans le sang.
Etes-vous limité dans le temps pour réaliser cette intervention ?
Pr Jean-Noël Fabiani : On est limité dans le temps, mais aujourd’hui, les techniques sont tellement évoluées que l’on pourrait prendre six heures pour opérer sans beaucoup d’inconvénients. Mais cela dure évidemment beaucoup moins longtemps. L’utilisation du cœur-poumon artificiel ne dure qu’à peu près une heure, pendant laquelle on crée 3 ou 4 pontages.
Cette machine pourrait être en attendant une greffe ?
Pr Jean-Noël Fabiani : C’est ce que l’on fait, évidemment. De nouveaux progrès ont permis de mettre au point des appareils portables. Si demain vous faites un arrêt cardiaque dans la rue, nous sommes capables de vous mettre en place 2 canules par voie fémorale, d’assister votre organisme et de remplacer votre cœur défaillant. Il faut néanmoins agir vite, bien sûr. Sous massage cardiaque, on peut attendre un certain temps, mais le problème à ce moment-là, ce n’est plus le cœur, mais le cerveau. Il ne faut pas que cela dure plus d’une dizaine de minutes.
Faites-vous encore des greffes de cœur à l’hôpital européen Georges Pompidou ?
Pr Jean-Noël Fabiani : Oui, bien sûr. Chaque année, nous réalisons une quarantaine de greffes thoraciques. Entre les greffes de cœur et de poumons, parce que dans mon service, on réalise les deux, on en pratique à peu près une par semaine.
La greffe de poumon est généralement réalisée sur des gens qui ont la mucoviscidose ?
Pr Jean-Noël Fabiani : Oui, il faut alors changer les deux poumons, et il faut arrêter le cœur. Parfois même, on est obligé de changer le cœur et les poumons, ce qui s’appelle une greffe « cœur-poumons ». Ce sont des opérations longues, difficiles. Parfois, dans le cas de la mucoviscidose, on opère le foie en même temps que les poumons. L’opération peut durer 24 heures, les équipes se relaient, nos collègues chirurgiens digestifs viennent s’occuper de la transplantation du foie. On commence par les poumons. Dans le cas des mucoviscidoses, le cœur est généralement sain, donc on n’a que le foie à remplacer, et parfois le rein.
Pourquoi n’y a-t-il pas plus de greffes ?
Pr Jean-Noël Fabiani : C’est surtout à cause du manque de donneurs. Le monde entier manque de donneurs actuellement. En France, on effectue 350 transplantations cardiaques par an, et c’est un chiffre qui ne bouge pas depuis plusieurs années.
Pourtant, on parle beaucoup du don d’organes, qu’est-ce qui bloque la situation ?
Pr Jean-Noël Fabiani : D’abord, il n’est pas très facile de mettre en place un prélèvement d’organes, c’est compliqué, et il y a encore des réticences, qui sont à la fois pratiques, culturelles, parfois religieuses.
Quelle est l’espérance de vie d’un greffé du cœur ?
Pr Jean-Noël Fabiani : Quand on a passé le cap difficile de la première année, on a une espérance de vie de 20 ans. Je suis des malades qui ont été transplantés il y a 30 ans maintenant.
Le traitement anti-rejet est-il toujours aussi lourd à supporter ?
Pr Jean-Noël Fabiani : Il progresse, heureusement. Il y a eu l’avènement de la ciclosporine, qui a complètement révolutionné notre métier et la vie des transplantés, qui leur a permis de longues survies. Mais bien entendu, ce sont des malades qui sont plus sensibles aux infections, à l’avènement de cancers. Donc ce sont des malades qui doivent être pris en charge de façon très soigneuse.
A-t-on essayé les cœurs d’animaux ? Cela résoudrait les problèmes de greffons ?
Pr Jean-Noël Fabiani : Oui, bien entendu. On a d’abord essayé, chez des bébés en particulier, des cœurs de singes. Et on pense à une voie possible avec certains animaux comme le porc. Il y a des fermes qui se mettent en place pour préparer ces animaux.
Il existe des pompes miniaturisées pour aider un cœur défaillant à fonctionner. Quelle est la taille de cette machine ?
Pr Jean-Noël Fabiani : Pour l’instant, on utilise des machines qui peuvent même être des petites turbines, qui sont toutes petites, de la taille d’un paquet de cigarettes. On place cet appareil à l’intérieur de la poitrine, ce qui permet de soutenir le cœur en attendant une greffe, le cœur restant en place. Il peut être branché avec un fil à des batteries que l’on porte sur une ceinture externe. Quand ça sonne, il faut évidemment changer la batterie, mais cela permet de mener une vie quasiment normale : avec un petit sac à dos, on emporte ses batteries et on peut aller au cinéma, par exemple.
Qu’en est-il du cœur total artificiel Carmat que met au point le Pr Alain Carpentier ?
Pr Jean-Noël Fabiani : Le cœur artificiel de M. Carpentier est un appareil qui va être implanté définitivement, c’est-à-dire qu’il va remplacer le cœur, sans attendre de greffe. Ce cœur est prêt, il fonctionne chez l’animal, chez le veau actuellement, et nous allons bientôt l’implanter chez l’homme.
Qu’est-ce qui ralentit le recours à son utilisation ?
Pr Jean-Noël Fabiani : La mise au point d’un nouvel appareil médical, surtout de cette importance, implique un certain nombre de verrous à ouvrir : sur le plan des comités d’éthique, du nombre de certitudes qu’il faut obtenir, sur le nombre d’expérimentations qu’il faut réaliser. On nous demande un cahier des charges très important. Il est désormais rempli et nous sommes prêts. Le tout désormais est d’avoir la bonne indication pour mettre en place ce cœur. C’est un cœur définitif, on ne parle plus de greffe mais il faudra néanmoins changer les piles. Pour le moment, on n’a pas encore trouvé le système pour mettre la source d’énergie en interne, pour des raisons, entre autres, de chaleur. Le fait de mettre à l’intérieur du corps la source d’énergie implique que la température moyenne du corps atteindrait immédiatement 39°. Il reste à trouver la solution à ce problème.