Renforcer la collaboration entre les autorités et les psychiatres pour mieux lutter contre le terrorisme ? L’idée émise par le ministre de l’Intérieur au lendemain de l’attaque au camion à Marseille fait grincer les dents des professionnels de santé. Ceux-ci évoquent le secret médical, les prérogatives des uns et des autres – le soin relève d’une discipline et l’ordre, d’une autre. Une partie de la profession s’agace de la volonté de séculariser la psychiatrie.
Le ministère de la Santé, lui, a plaidé pour la mise en place de « protocoles » permettant de détecter au sein des consultations hospitalières les profils psychiatriques à risque de passer à l’acte terroriste. Pour Pierre Lamothe, expert-psychiatre, si certaines propositions gouvernementales ne sont pas inintéressantes, la démarche globale pourrait s’avérer assez inefficace.
Les psychiatres devraient-ils coopérer davantage avec les autorités et signaler leurs patients à risque ?
Dr Pierre Lamothe : En réalité, nous avions déjà ces débats à l’Assemblée Nationale en 1998, avec la logistique du premier kilomètre. A l’époque, les discussions portaient sur les « pousseurs du métro » et les moyens d’intervenir en amont de ces actes. Collaborer davantage avec les autorités peut être intéressant à condition que cela ne viole pas les grands principes de la séparation des pouvoirs et du secret médical.
Il faut effectivement renforcer le maillage afin d’améliorer la capacité à signaler. On peut imaginer des psychiatres rattachés aux autorités qui viendraient renforcer les connaissances techniques des professionnels hospitaliers sur les risques humains. Mais il convient de rappeler que nous vivons dans une société qui n’a jamais été aussi sûre, on ne peut pas remettre en cause la manière dont elle est organisée à chaque fois que des idées fusent sous le coup de l’excitation médiatique.
Existe-t-il vraiment des « protocoles » pour détecter des patients à risque ?
Dr Pierre Lamothe : Non, il n’y aucun protocole et il ne peut y en avoir. Il faut créer une situation d’éveil, qui ne concerne pas seulement les psychiatres mais chacun d’entre nous. Les personnes dangereuses sont avant tout des personnes en souffrance. Il faut donc s’ouvrir aux autres, observer, signaler, afin que la personne sache qu’elle fait l’objet d’une surveillance, plus ou moins bienveillante.
Mais cela doit sortir de la logique purement sécuritaire : la surveillance ne peut pas être perçue comme une simple répression, mais aussi comme une forme d’aide.
Ne risque-t-on pas de passer à côté de nombreux profils à risque, qui ne relèvent pas d’une pathologie mentale ?
Dr Pierre Lamothe : Si et c’est tout le problème de cette approche qui met l’accent sur la psychiatrisation des profils d’attentats terroristes. Il ne faut pas oublier que de nombreuses personnes sont fascinées par la publicité et l’effusion médiatique que génère un attentat terroriste. La plupart de ces personnes ont des troubles du comportement, mais il ne s’agit pas de pathologies mentales. D’ailleurs, les malades mentaux ne sont pas dangereux.