Ils ne sont plus qu’une dizaine à assister aux réunions du jeudi, dans les locaux d’Act Up-Paris. Le temps a passé, depuis les débuts de l’association d’activistes narrés dans le film 120 battements par minute, qui sort en salles ce mercredi. Si Act Up n’a jamais abandonné le combat contre le sida, ses effectifs et ses méthodes ont évolué.
Mais que reste-t-il réellement de l'association, de son militantisme radical, de ses opérations coup de poing et de ses offensives musclées ? Certains murmurent qu'elle appartient au passé. D’autres pensent que la structure joue aujourd’hui les règles consensuelles du système, au risque de se confondre avec lui et d’aliéner son propre ADN, teinté d’esprit rebelle et indomptable.
Mikaël Zenoudan, président d’Act Up-Paris, revient sur les évolutions de cette association emblématique.
Avez-vous abandonné le radicalisme qui était la marque de fabrique d’Act Up ?
Mikaël Zenoudan : Non, même si nous organisons moins d’actions publiques qu’auparavant, nous utilisons toujours les mêmes méthodes dites radicales – le die in, le harcèlement des pouvoirs publics… Seulement, les méthodes ont progressé avec le temps. Le combat passe beaucoup par les réseaux sociaux, qui nous permettent d’interpeller des personnes, de diffuser des informations.
Les actions publiques sont spectaculaires mais elles ne résument pas l’action d’Act Up. En réalité, elles ne surviennent qu’en dernier recours, après un travail moins visible qui consiste à se faire écouter et recevoir par les pouvoirs publics, afin de discuter de telle problématique, de telle politique consensuelle qui ne va pas jusqu’au bout. Ce fut le cas pour les programmes d’échange de seringues en prison : nous avons, avec les autres associations du milieu, bloqué le décret édulcoré qui devait être publié, afin d’obtenir un texte satisfaisant. Les discussions sont en cours.
Qu’est-ce qui vous distingue aujourd’hui des autres associations de ce milieu ?
Mikaël Zenoudan : Nous avons toujours ce rôle de « chien méchant » dans le milieu associatif. Un rôle de veille sur des sujets particuliers – et ils sont nombreux, car la lutte contre le sida est transversale. Nous tenons des discours forts, qui permettent de mettre sur la place publique des problématiques précises, de les rendre visible aux yeux du grand public.
Pour nous, le discours qualifié de radical qui consiste à dire que tel ministre est un assassin nous semble normal. Il permet de mettre en lumière les problèmes. Mais nous travaillons beaucoup avec les autres associations. Elles nous laissent d’abord crier, puis elles vont travailler avec les institutions.
La lutte contre le VIH nécessite-t-elle encore d’être offensif et radical ?
Mikaël Zenoudan : Oui car les contaminations restent nombreuses en France, notamment chez les jeunes, et il y a toujours des morts liées au sida. La connaissance des modes de transmission du VIH et des moyens de prévention est très lacunaire chez les jeunes. Par ailleurs, de nombreux sujets doivent être mis sur la table, comme le vieillissement des personnes séropositives, avec la problématique des comorbidités et des prestations de retraite.
Le film a permis de redonner une visibilité à une époque, mais il ne faut pas que les gens restent à un niveau de spectateur. Comme il s’agit d’un film historique, cela peut laisser penser que le sida n’est plus d’actualité. Le sida n’est pas une simple maladie chronique, comme peut le laisser entendre le discours médiatique. Même si nous ne sommes plus très nombreux à Act Up, même si cela est parfois éreintant, nous poursuivons la lutte car les combats restent multiples.