« Paye ton utérus », touchers vaginaux non consentis, expressions abdominales… Les polémiques agitant le monde de la gynécologie sont nombreuses. Sur des blogs ou dans des tribunes, les patientes témoignent et dénoncent ce qu’elles vivent comme une maltraitance de la part de ceux qui les soignent. Et ces derniers le vivent mal.
Dans une lettre ouverte publiée ce 12 septembre, les jeunes gynécologues se défendent. « Nous ne sommes pas des bourreaux », clament-ils en préambule. Ces professionnels de santé déplorent le « gynéco-bashing » ambiant qui est à l’origine d’un « climat de phobie ».
Les jeunes gynécos ont donc décidé de s’expliquer. Chaque acte pratiqué est nécessaire, arguent-ils, qu’il s’agisse d’un toucher pelvien ou d’une palpation des seins. Cette démarche didactique marque un pas en avant pour cette profession qui avait, jusqu’ici, réagi par la défensive.
Cette fois, les jeunes médecins l’affirment : l’ère de la « médecine paternaliste d’hier » est finie ; l’heure est désormais à l’échange en toute bienveillance. Explications avec le Dr Yaël Levy-Zauberman, gynécologue et praticien hospitalier contractuel.
Quel est l’impact de ce gynéco-bashing ?
Dr Yaël Levy-Zauberman : Il existe un biais. Les gens insatisfaits s’expriment davantage que ceux qui sont contents. Peu de gens monteront au créneau pour affirmer que tous les gynécos sont tous des gens bien, ce qui n’est pas vrai non plus. Mais l’utilisation de données statistiques fausses, ou de témoignages ponctuels sans compréhension du dossier médical, nuit à l’image des gynécologues. L’image rendue est négative et masque l’aspect positif de notre profession.
Cela relève plus d’un climat global que spécifique à notre spécialité. Le phénomène est lié à l’accès facile à des sites et des forums de qualité inégale. Cela complique la discussion avec les patients. On peut voir cela comme quelque chose de positif – un transfert de connaissances vers un public plus large – mais le médecin reste détenteur d’une expertise, au même titre que d’autres métiers spécialisés.
Comment expliquer ces nombreuses plaintes ?
Dr Yaël Levy-Zauberman : On ne peut pas nier qu’un grand nombre de patientes ont des griefs ou des insatisfactions. Elles ont pu être victimes d’erreurs médicales, de défauts de communication, souffrir de séquelles... Une grande partie de la déception et de la colère de ces patientes aurait pu être évitée par une meilleure communication entre le personnel médical et les patientes. Rien ne remplace la gentillesse et l’empathie, même dans les situations difficiles.
Mais une consultation de gynécologie passe par l’interrogatoire, l’examen clinique, le diagnostic. Tout cela prend du temps, plus que les 20 minutes allouées en consultation, en ville comme à l’hôpital. Il faut donc optimiser le temps, ce qui passe par ne pas détailler tout le processus. Si on disposait de 40 minutes par patiente, la majorité des patientes insatisfaites ne le seraient plus.
Le manque de moyens est donc en cause ?
Dr Yaël Levy-Zauberman : A l’hôpital, on réalise rarement des gestes à un moment où on n’a rien d’autre à faire. On est constamment interrompus ou sollicités ailleurs. Au lieu de prendre le temps d’expliquer, on privilégie le geste à l’explication. Si plus de médecins de garde étaient disponibles, on aurait plus de temps pour communiquer.
Sans compter que, quand on réalise énormément d’heures par semaine, le niveau de fatigue fait qu’on choisit soit la compétence, soit l’empathie. On fait ce qu’on a à faire pour que les gens aillent bien, mais il est difficile de l’enrober. On n’a pas le temps et l’énergie pour accomplir les gestes et communiquer.
En quoi les pratiques médicales ont-elles évolué ?
Dr Yaël Levy-Zauberman : Les pratiques médicales n’ont pas changé en elles-mêmes. Expliquer en quoi consiste l’examen clinique a toujours fait partie de la pratique gynécologique. Ce qui a changé, c’est l’attente d’information pas à pas. Aujourd’hui, les attentes des patientes ont évolué, et la loi Kouchner exige que chaque contact physique fasse l’objet d’une autorisation de la patiente.
En pratique, respecter cela est difficile. Non seulement parce que c’est chronophage mais aussi parce que les patientes viennent de leur plein gré. Je pense qu’elles sont donc prêtes à accomplir cet examen physique. Ce qui ne signifie pas qu’il faut pratiquer un toucher vaginal par surprise. Il faut le faire de manière professionnelle et douce.
La jeune génération a-t-elle de meilleures habitudes ?
Dr Yaël Levy-Zauberman : Je ne veux pas créer de schisme entre les jeunes docteurs et les plus expérimentés. Mais il est vrai que ces derniers – qu’on entend davantage communiquer – ont un rapport patient-malade légèrement différent. Cependant, on ne peut pas leur reprocher de pratiquer une médecine qui, à leur époque, fonctionnait comme cela. Ils ont été formés dans ce monde-là. Nous, jeunes gynécologues, avons commencé nos études dans un monde où les attentes et la loi étaient différentes. S’adapter est plus simple, et plus évident.
Mais la formation entre pairs n’est pas sans risques…
Dr Yaël Levy-Zauberman : Cela vaut pour le geste technique mais pas forcément pour le rapport aux patients. Il est en grande partie modelé par les patients eux-mêmes. On subit, bien sûr, l’influence de médecins expérimentés au cours de notre formation.
Parmi les gens qui m’ont formés, certains m’ont inspirée par leur façon de s’exprimer. Ils m’ont poussée à tendre vers une pratique positive de la médecine. A l’opposé, j’ai vu des praticiens qui m’ont fait comprendre quel genre de rapports que je ne veux pas avoir avec mes patients.