Quel est le coût réel du développement d’un médicament contre le cancer ? C’est la question à laquelle ont tenté de répondre des chercheurs américains. Après le débat sur le prix du Sovaldi en France, le traitement contre l’hépatite C, le débat sur le coût des médicaments est loin d’être terminé. Et cette étude pourrait bien jeter un nouveau pavé dans la mare.
Dans un article publié dans la revue JAMA, ils arrivent à la conclusion suivante : leur développement serait trois à quatre fois moins cher que ce que les laboratoires prétendent.
Sept dollars par dollar investi
Depuis des années, la référence était celle fournie par les chercheurs du Tufts Center for the Study of Drug Development, qui annonçaient qu’entre le début de sa conception et sa mise sur le marché, un médicament coûtait environ 2,7 milliards de dollars à produire.
Mais d’après le dernier calcul du Knight Cancer Institute de Portland (Etats-Unis), basé sur 10 traitements récents contre le cancer, son coût médian se situerait plutôt autour de 760 millions de dollars : la moitié coûte plus, et la moitié coûte moins.
Et ensemble, ces 10 traitements ont rapporté 67 milliards de dollars aux laboratoires. Un retour sur investissement juteux : il est égal à sept fois l’investissement – même si parmi les 10, un médicament n’a pas été rentable.
Les ratés oubliés ?
Comme prévu, les réactions des laboratoires ne se sont pas fait attendre. « Ce que nous dit cette étude, c’est qu’il est opportun, d’un point de vue business, d’aller acheter des tickets de loto gagnants », critique ainsi Daniel Seaton, porte-parole de la Biotechnology Innovation Organization, le plus gros lobby mondial de l’industrie des biotechnologies. Il reproche aux chercheurs de ne pas avoir tenu compte de toutes les recherches menées par ces mêmes laboratoires, et en particulier, celles qui n’ont pu aboutir.
Une accusation que contestent les Drs Vinay Prasad, oncologue à l’université de l’Oregon, et Sham Mailankody, du Memorial Sloan Kettering Cancer Center de New-York. Ils ont par exemple inclus dans leurs chiffres les médicaments développés par les mêmes laboratoires, mais qui n’ont pas reçu d’autorisation de la part de la FDA américaine, l’agence américaine du médicament.
Ils citent pour exemple l’ibrutinib, un anticancer. Parmi quatre médicaments développés par la compagnie Pharmacyclics, c’est le seul à avoir reçu une autorisation de la FDA en 2013. Ensemble, leur développement a coûté 388 millions de dollars, d’après les chiffres de la société. La licence de l’ibrutinib a par la suite été revendue pour 21 milliards de dollars à Janssen Biotech. Un bénéfice supérieur à 5 000 %, même en comptant les ratés !
Nouveau modèle économique
L’étude semble néanmoins avoir quelques limites. Elle ne s’intéresse qu’à des traitements développés par de « petits » laboratoires, n’ayant pas la force de frappe de Novartis, Sanofi ou GSK. Des traitements intéressants pour les patients, ce qui inciterait parfois la FDA à autoriser des essais cliniques plus restreints, et donc moins coûteux pour ces plus petites structures, explique dans le New York Times Patricia Danzon, économiste à l’université de Pennsylvanie.
Un reproche qui tiendrait de moins en moins, car ce modèle économique tend à se généraliser : des petites structures développent des molécules, qu’elles revendent à prix d’or aux géants du marché, qui s’occupent ensuite de leur commercialisation.
Mais, quel que soit le modèle économique retenu, le calcul est le même, d’après le Dr Aaron Kesselheim, en charge du coût des traitements au Brigham and Women’s Hospital de Boston. Pour lui, peu importe le coût de développement, celui-ci n’influencera pas les prix. « Ils sont fixés par rapport à ce que le marché peut supporter », estime-t-il.
Et il semble que le marché soit généreux. Le Kymriah, première thérapie génique destinée à traiter une leucémie de l’enfant, vient d’être autorisé par la FDA. Son prix négocié par Novartis : environ 400 000 euros.