L’euthanasie, l’assistance à mourir, ou quel que soit le nom et les subtilités qui y sont associées, revient sur la scène médiatique. Le candidat Macron avait annoncé, en début d’année, vouloir faire avancer le dossier, sans se précipiter. Mais le cas d’Anne Bert a réveillé les consciences. Cette Française atteinte de la maladie de Charcot va se rendre en Belgique pour obtenir une assistance à mourir que la France ne lui permet pas.
Déjà présent lors des débats sur la loi Claeys-Leonetti sur la fin de vie, le Pr Jean-Louis Touraine revient à la charge avec une proposition de loi. Accompagné de 53 députés de son parti En marche, mais aussi du PS et des Radicaux de gauche, l’élu de la troisième circonscription du Rhône souhaite que le dispositif que prévoit la loi soit remplacé par une « assistance médicalisée active à mourir ».
Le principe de sédation profonde et continue accordée aux personnes atteintes « d’une affection grave et incurable dont le pronostic vital est engagé à court terme » serait abandonné, au profit d’une loi accordant plus de liberté aux patients.
La proposition conduite par ce praticien hospitalier prévoit que « toute personne majeure et capable, en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable provoquant une douleur physique ou une souffrance psychique insupportable, peut demander à bénéficier d’une assistance médicalisée active à mourir ».
Concrètement, une demande formulée par le patient devrait être étudiée par un collège de trois médecins, qui deviendraient juges du bien fondé de la décision. Ils seraient chargés d’étudier sa situation médicale, et qu’il se trouve bien dans un cas d’impasse thérapeutique. Ensuite, l’euthanasie serait pratiquée soit par le médecin, soit par le patient lui-même.
Votre proposition de loi permettrait-elle à Anne Bert de mourir en France ?
Pr Jean-Louis Touraine : Le cas d’Anne Bert touche beaucoup de personnes, qui pensent qu’il est infiniment triste qu’elle doive aller mourir à l’étranger. Je reçois de nombreuses lettres à ce sujet. Je ne connais pas son dossier médical. Les atteintes des premiers temps de la maladie de Charcot ne légitiment pas une fin de vie prématurée. En revanche, dans le cas d’une forme avancée de la maladie, cela devient légitime de refuser les dernières décrépitudes, la fin de l’agonie très pénible pour la malade comme pour ses proches.
C’est la raison pour laquelle je pense que, pour chaque dossier, il faut qu’un collège médical puisse prendre une décision éclairée. Dans un cas similaire à celui de Mme Bert, il pourrait par exemple estimer qu’il est trop tôt, que la situation médicale du patient ne justifie pas encore une aide à mourir. Sans que cela lui ôte la possibilité de refaire une demande quelques semaines plus tard, si les symptômes se sont aggravés.
Je pense que ce qui angoisse Anne Bert, c’est le fait qu’elle ne puisse pas y recourir maintenant en France, mais aussi qu’elle ne pourra plus y recourir plus tard, le moment venu. Cela précipite peut-être une décision qui aurait pu être prise plus tardivement, justifiant ainsi la nécessité d’une évolution de la loi.
Que proposez-vous de changer à la loi existante ?
Pr Jean-Louis Touraine : Ce que je trouve embarrassant, c’est l’hypocrisie actuelle dans notre pays sur l’aide active à mourir. Entre 3 000 et 4 000 personnes en profiteraient chaque année, d’après l’Ined. Et il est très probable que des milliers d’autres n’en profitent pas en raison de son caractère illégal. Tout se fait en cachette, et cela expose aux risques d’excès et d’insuffisance. Nous sommes dans la même situation que pour l’IVG avant la loi Veil. Ce n’est pas satisfaisant, et l’IVG nous a montré le bénéfice d’un encadrement par la loi.
Actuellement, il n’y a pas de réponse à l’agonie douloureuse pour tous dans la loi Claeys-Leonetti. Elle permet d’éviter l’acharnement thérapeutique, mais pas d’aide médicale à mourir. Nous ne proposons ni le suicide assisté, qui ne relève pas de l’expertise médicale, ni l’euthanasie, qui implique trop souvent uniquement les médecins. Nous proposons quelque chose d’assez proche de la loi belge, mais en plus encadré. L’assistance médicalisée assistée à mourir relèvera d’une demande de la personne concernée, et nécessitera une validation médicale.
Avec votre nouveau cadre, des cas plus « limites » pourront être traités ?
Pr Jean-Louis Touraine : Notre proposition ne prétend pas apporter toutes les réponses. Des cas particuliers, comme en néonatologie, demandent encore à être discutés, car il ne peut pas y avoir de consentement de la part du patient. Elle prévoit pour l’instant un cadre, et un objectif. On reproche souvent aux parlementaires de créer des lois « bavardes », qui rentrent tellement dans les détails qu’elles en deviennent impossibles à appliquer. Les conditions d’applications seront réglées par des décrets, voire des guides de bonne pratique pour les médecins.
Ce que notre proposition stipule en revanche, c’est que l’accord soit donné par trois médecins indépendants, qui étudieront en détail le dossier, avant de débattre et de prendre une décision collégiale.
Pourquoi utiliser cette forme politique, plutôt qu’une proposition gouvernementale ?
Pr Jean-Louis Touraine : Bien souvent, les gouvernements ont tendance à considérer que les questions de société sont moins prioritaires pour la France. Ils ont de nombreux points à gérer, et mettre cette loi dans leur agenda signifierait en repousser une autre car les projets de loi s’inscrivent dans un calendrier bien défini. En revanche, techniquement, des niches sont disponibles pour l’étude des propositions de loi émanant du Parlement. Ce qui ne retarde pas les propositions du gouvernement.
C’est aussi un genre de sujets sur lesquels les groupes politiques n’ont pas à donner de consigne de vote, à mon sens. Dans chaque bord, certains parlementaires doivent y être favorables, et d’autres réservés.
Il y a enfin la crainte que la polémique, les débats entraînés par quelques intégristes comme pour le mariage pour tous, ne se reproduisent, et obèrent l’action politique. Mais ma prédiction, c’est que nous ne sommes pas dans les mêmes circonstances, ne serait-ce que par le fait que les enquêtes d’opinion tendent à montrer que 90 % de la population est favorable au choix dans la fin de vie.