Une dizaine de médicaments par jour, parfois plus encore. Les seniors consomment beaucoup trop de traitements, rappelle une étude menée par 60 millions de consommateurs. Le sujet est bien connu, tout comme les risques : interactions médicamenteuses, multiplication des effets secondaires, risque de surdose…
La surconsommation des médicaments chez les personnes âgées pose problème, autant pour la santé de ces personnes que pour les comptes de la Sécurité Sociale. Au gré des années, les rapports ne cessent de pointer ce dysfonctionnement de notre système de soins… En vain ? Benoît de Wazières, chef du service de Médecine interne gériatrique et responsable du pôle de gérontologie du CHU de Nîmes, revient sur cette surconsommation problématique.
Y-a-t-il des classes médicamenteuses qui posent plus problème que d’autres ?
Pr Benoît de Wazières : Oui, il y a à la fois un problème de multiplication des prescriptions, de classes médicamenteuses et de bon sens. En gériatrie, chez le sujet très âgé, certains médicaments en prévention primaire, et même secondaire, n’ont plus d’indication. C’est le cas du traitement contre le cholestérol : après 85-90 ans, il n’y a plus aucun intérêt, surtout si le malade prend déjà cinq ou six médicaments. Certains traitements en prévention deviennent ainsi très discutables.
D’autres médicaments sont extrêmement dangereux, comme les anti-inflammatoires non-stéroïdiens. En effet, la fonction rénale est très altérée avec le vieillissement. Or, souvent, les personnes âgées prennent aussi des traitements hypertenseurs, des diurétiques… et là, ça fait un cocktail détonant. C’est d’autant plus ennuyeux qu’il y a une possibilité d’automédication, car ces anti-inflammatoires sont en vente libre en pharmacie.
La consommation des benzodiazépines par les personnes âgées fait-elle partie du problème ?
Pr de Wazières : Oui, mais cela évolue. Nous sommes en train de clore une génération qui a pris beaucoup de benzodiazépines et qui continue à en prendre en vieillissement. C’est un vrai problème dans la mesure où ces médicaments sont responsables de troubles de la mémoire, de chutes, de malaise…
Mais ce n’est pas simple. Quand on est vieux, on a du mal à dormir, on s’ennuie, la télévision n’intéresse pas, on ne peut plus lire parce qu’on a un glaucome ou la cataracte, on n’a plus d’activité physique donc on n’est plus fatigué… On tourne en rond ! Donc on prend des benzodiazépines pour dormir. Mais à nouveau, cela est en train de changer.
Comment faire pour éliminer des lignes sur l’ordonnance des personnes âgées ?
Pr Benoît de Wazières : C’est le rôle des gériatres, nous avons des critères de sélection de médicaments. J’ai établi des listes validées par l’Agence Régionale de Santé, avec des fiches thérapeutiques, des noms très précis de médicaments. Par exemple, les benzodiazépines pour les personnes âgées, c’est l’oxazépam et rien d’autre, car c’est la moins mauvaise. Pour la douleur, on donne du paracétamol, et si cela ne fonctionne plus, il faut passer directement à la morphine. Surtout pas de tramadol entre les deux : c’est interdit chez les sujet âgés, cela les rend confus, les fait chuter, vomir... On ne peut pas se permettre ce risque.
Nous avons mené ce travail pour la plupart des grandes pathologies. Ces fiches sont disponibles sur le site Omeditlr, il y a un guide de l’usage pharmaceutique en Ehpad. J’ignore si les généralistes les consultent, mais elles sont là !
Cela fait des années que cette surconsommation est pointée du doigt… Pourquoi cela ne change-t-il pas ?
Pr Benoît de Wazières : En fait, c’est en train de changer. Même si ce n’est pas encore parfait, il y a eu d’importants progrès ces dernières années. La sécurité sociale s’est emparée du sujet, les gériatres interviennent dans de nombreuses formations médicales continues… On voit beaucoup moins de prescriptions d’anti-inflammatoires chez les sujets âgés ; les traitements contre l’Alzheimer, qui ne servent pas à grand-chose et ont des effets secondaires, ont beaucoup diminué. Les traitements absolument nécessaires, notamment cardiovasculaires (anticoagulants, médicaments contre l’insuffisance cardiaque…) sont de mieux en mieux prescrits.
Cela est dû à une meilleure formation des médecins. L’ancienne génération était davantage inféodée aux laboratoires et aux visiteurs médicaux. Là, c’est fini : ils sont formés à la démarche scientifique, à l’analyse critique des articles scientifiques. Les « futurs vieux » auront moins de médicaments ! En tout cas, moins de traitements superflus. Quand on en est déjà à sept-huit médicaments, il faut arrêter tous les traitements de confort.