Le hasard de calendrier n’envoie pas un bon signal aux 10 millions de personnes souffrant d’arthrose. Le jour de la Journée mondiale des rhumatismes, le 12 octobre, le ministère de la Santé et celui des Comptes publics ont publié un arrêté au Journal officiel visant à mettre fin au remboursement du Hyalgan. C’était le dernier traitement à base d’acide hyaluronique pris en charge par l’Assurance maladie à hauteur de 15 %.
Les ministres estiment « qu’aucune démonstration probante n'établit à ce jour la supériorité de cette spécialité par rapport au placebo ou par rapport aux dispositifs médicaux poursuivant la même visée thérapeutique ». Ces derniers ont également fait l’objet de déremboursement le 1er juin dernier.
Ainsi à partir d’aujourd’hui, la France ne rembourse plus aucune injection d’acide hyaluronique pour atténuer les douleurs entraînées par l’arthrose. Les malades devront payer de leur poche. Outre l’inégalité d’accès aux traitements, les rhumatologues dénoncent une « décision absurde » qui favorise le recours à la pose de prothèse de genou. Le Dr Emmanuel Maheu, rhumatologue à l’hôpital Saint-Antoine (Paris) craint également une dérégulation du marché et l’arrivée de produits mal contrôlés.
Dans l’arrêté, les ministres évoquent l’exercice physique comme alternative à l’acide hyaluronique. Qu’en est-il ?
Dr Emmanuel Maheu : Ils évoquent, en effet, la mise en place de « mesures hygiéno-diététiques et de traitements non pharmacologiques ». Ces recommandations sont très intéressantes chez les malades qui n’ont pas mal pour prévenir les crises. Mais la première chose à faire quand un patient souffre est d’atténuer ses douleurs à un niveau acceptable pour lui permettre une reprise d’une activité physique.
Les patients atteints d’arthrose ont le sentiment de ne pas être pris au sérieux, de ne pas être écoutés et que les médecins n’ont rien à proposer pour soulager leur douleur. Une méfiance qui va se renforcer avec ce genre de recommandation.
Existe-t-il des traitements capables d’atténuer la douleur des patients ?
Dr Emmanuel Maheu : Les patients qui souffrent d’arthrose de genou peuvent avoir mal par phase mais ils peuvent aussi souffrir en continu. L’arrêté rappelle que le paracétamol peut être utilisé lors de ces phases symptomatiques. Or les dernières analyses réalisées montrent que ce médicament n’a pas d’effet sur la douleur. Des articles récents ont aussi soulevé des questions quant à sa bonne tolérance. En prise continu, les patients ne s’exposeraient pas seulement à un risque hépatique mais aussi à un risque cardiovasculaire et rénal.
Les ministres conseillent aussi l’usage des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) en « phase aigüe ». En voilà une bonne politique de santé publique : on dérembourse des médicament non dangereux et on dit aux patients de prendre des anti-inflammatoires. Je rappelle qu’avec ces médicaments il y a un risque important de saignements et d’ulcère de l’estomac, d’insuffisance rénale chez le sujet âgé et de complications cardiovasculaires. C’est une absurdité totale.
Enfin, on nous demande d’utiliser les injections intra-articulaires de corticoïdes. Ce traitement fonctionne très bien mais dans des situations précises : les poussées inflammatoires du genou avec présence d’un épanchement.
En réalité, ces différents médicaments ne sont pas des alternatives à un traitement qui vise l’amélioration sur le long terme. On nous propose seulement des traitements de crise qui ont un balance bénéfice/ risque mois bonne que l’acide hyaluronique.
Le recours aux prothèses de genou pourrait-il augmenter ?
Dr Emmanuel Maheu : C’est certain. Les patients atteints d’arthrose cherchent à ne plus avoir mal. Donc si les rhumatologues n’ont plus de quoi les soulager, ils vont aller chez le chirurgien pour être opérés. Donc mécaniquement, on va constater une hausse du nombre de prothèses de genou. Alors qu’aujourd’hui en France on compte 106 prothèses de genou pour 100 000 habitants, on pourrait se rapprocher des Etats-Unis qui en pose 234 pour 100 000 habitants.
Le risque est que les patients opérés soient plus jeunes qu’aujourd’hui. Une prothèse ne serait efficace qu’une quinzaine d’années, les reprises pourraient donc être plus fréquentes. Les patients seraient davantage exposés aux risques habituellement associés aux interventions chirurgicales.
Par ailleurs, les études montrent que les prothèses de genoux ne sont pas aussi bien tolérés que les prothèses de hanche Un ou deux ans après l’opération, des patients n’arrivent toujours pas s’habituer.
Vie professionnelle : les rhumatismes sont une limite
Les rhumatismes handicapent, et les Français le comprennent bien. 83 % d’entre eux estiment que ces douleurs peuvent constituer un frein à la vie professionnelle. C’est ce qui ressort d’un sondage réalisé par l’Ifop pour le collectif « Ensemble contre les Rhumatismes » et présenté à l’occasion de la Journée mondiale contre les rhumatismes, ce 12 octobre.
Menée par le Pr Francis Berenbaum, chercheur à l’Inserm, l’enquête montre que les Français ont une conscience aiguë des limitations occasionnées par les douleurs articulaires et les rhumatismes. Car dans les faits, 30 % des patients suivis pour de telles affections ont dû limiter leur activité professionnelle, ou se mettre en arrêt maladie.
Cette moyenne cache de fortes différences selon la pathologie. Parmi les Français atteints de rhumatismes, un sur deux a dû revoir sa charge de travail à la baisse. Ceux qui souffrent de douleurs articulaires sévères sont 43 % à avoir pris la même décision.