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Agnès Buzyn, entretien au JDD

Une ministre au front, en 10 mesures

Par le Dr Jean-François Lemoine

Agnès Buzyn, l’atout social du gouvernement, a détaillé son plan dans une longue interview au Journal du Dimanche. Pourquoi Docteur revient sur les 10 mesures qui font sens.

Tardivon Jean-Christophe/SIPA

Quasi inconnue du grand public, mais personnalité du monde de la santé (spécialiste des cancers du sang de réputation mondiale, ancienne patronne de l’INCa (Institut National du Cancer) et de l’HAS (Haute Autorité de santé), Agnès Buzyn n’a pas tardé à se retrouver à la une des médias. Ses prises de position – courageuses – sur le dossier de la vaccination ont révélé une femme déterminée ; la vraie illustration de « la poigne de fer dans un gant de velours… ». Expression éculée mais qui lui va à ravir.

Avant d’avoir à répondre aux questions des députés, à partir de mardi, en défendant à l’assemblée son premier PLFSS, le Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale, encore peu rompue aux joutes politiques – mais elle a la réputation d’apprendre vite –, elle tire habilement la première salve par une longue interview dans le Journal du Dimanche. Avec une forte résonance médiatique : « Elle va sauver la sécu » ou « La révolution douce en marche », qui appelle quelques commentaires. Pourquoi Docteur a pris l’initiative de classer les dix principales mesures en 4 catégories.

On s’en doutait !

Une confirmation : "Nous tiendrons l’engagement du Président de la République de rendre le tiers payant généralisable". Mais, "nous devons poursuivre nos efforts pour en assurer une application effective partout. Nous ne sommes pas prêts techniquement à l’étendre."

Le tiers payant sera donc généralisable, mais pas tout de suite. Une mesure qui évitera – jusqu’à quand ? – la fronde grondante des médecins libéraux.

« Un simple rattrapage ». La mesure, évaluée à 200 millions d'euros, fait déjà grincer des dents des associations de patients et des mutuelles prenant en charge ces frais de séjour. "Quand les dépenses des mutuelles augmentent, ce sont les dépenses des Français qui augmentent" et "leurs cotisations", a déclaré Thierry Beaudet, président de la Mutualité Française.

La ministre fixe des rendez-vous

Un rendez-vous ambitieux sur lequel elle sera probablement jugée : "Je souhaite y arriver bien avant la fin du quinquennat. Mon but est d’aboutir d’ici à un an."

Autre rendez-vous : « En 2022, sept patients sur dix qui entrent à l’hôpital le matin en sortent le soir, contre cinq aujourd’hui. »

Enfin, confirmation ferme pour la vaccination obligatoire qui sera lancée en janvier pour laquelle elle veut « non pas contraindre pour convaincre mais contraindre pour rassurer ». La réponse en janvier 2018.

"Quand on gagne plus de 8 000 euros par mois, est-ce que cela a du sens de recevoir 32 euros ? » La ministre n’a donc pas de tabou sur ce sujet et ouvre la porte au débat sur « la suppression des allocations pour les familles les plus aisées. »

Une mesure qui ne devrait pas mettre grand monde dans la rue et aidera le gouvernement à dissiper le soupçon qu’on lui fait de pratiquer une politique trop libérale.
 

Des effets d’annonce … comme les prédécesseurs ?

Avec en résumé toujours la même constatation : "30 % des dépenses de l’assurance maladie ne sont pas pertinentes".

Le discours habituel sur « les marges de manœuvre pour économiser des fonds sans toucher à l'égalité des chances ». Et : « Nous allons fermer les lits qui ne servent à rien ou les réorienter vers de nouveaux besoins ». La constatation n’est pas nouvelle. L’hôpital va donc être mis à contribution.

Développement de l'ambulatoire, c’est-à-dire retour le jour même à la maison après la plupart des interventions chirurgicales. Pour des hospitalisations moins nombreuses et des soins en ville privilégiés. Une mesure très largement appliquée à l’étranger depuis des années (en particulier aux Etats-Unis ou en Suède) mais qui passe mal en France. Déficit d’explication ? Grogne des médecins de famille devant des responsabilités accrues. Un dossier qui devra être clarifié au-delà de l’effet d’annonce.

Plus nouveau, même si c’est dans les tuyaux depuis longtemps, le changement de financement des hôpitaux, aujourd'hui payés à l'acte, pour lesquels sera expérimentée la mise en place de forfaits.

Enfin, mesure qui sera peut-être perçue comme une mesure libérale extrême, mais qui ressort toujours dans les débats entre professionnels : le « bonus et intéressement sur les objectifs pour les hôpitaux » ; en attendant des commentaires supplémentaires de la ministre, une idée plus qu’une mesure, mais qui va avoir l’intérêt de lancer le débat.

« L’hôpital doit se recentrer sur l’excellence et la haute technicité ». Une conclusion plus qu’une série de mesures. Sans être irrévérencieux, c’est même une sorte de « tarte à la crème » des discours d’intention, en particulier le recours aux robots, moyens de télémédecine et réseaux sociaux. C’est une évidence que leur rôle sera prépondérant. Mais qui en aura les moyens : les gouvernements ou les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazone et autre groupes de communication…) 

3 milliards d'euros d’économie, en « valorisant l'utilisation des médicaments génériques et bio similaires » ou en luttant contre les « fraudes et abus ».

Là encore, on est dans les vœux pieux face à une dérive constante mais dont les mesures – efficaces donc sans démagogie – peinent à se mettre en place.

Pas de coercition au programme… « Je préfère qu’un spécialiste de secteur 2 puisse choisir où il s’installe mais qu’en échange, il aille travailler une ou deux journées par semaine dans une zone sous-dotée. Un médecin des beaux quartiers pourra faire une consultation avancée en Seine-Saint-Denis ». On attend les commentaires des intéressés…

Des prises de position courageuses

Agnès Buzyn confirme : « La France a un comportement anormal vis-à-vis du tabac. Le seul levier efficace, c’est une hausse de prix constante sur plusieurs années qui oblige les fumeurs à se préparer à arrêter. Nous savons qu’une hausse du prix de 10 % entraîne une baisse de 4 % de la consommation ».

Le prix du paquet de tabac à 10 euros était une promesse de campagne d'Emmanuel Macron.

Pour les sodas : « Je ne souhaitais pas ajouter une taxe comportementale pesant sur les ménages. C’est une proposition des députés. L’objectif de la taxe telle qu’elle est conçue ne serait pas de rapporter plus d’argent mais d’inciter les industriels à réduire le taux de sucre. Aujourd’hui dans les magasins, l’eau en bouteille et le soda sont presque taxés de la même façon, ça n’a pas de sens. »

Probablement, personne ne contredira…

Agnès Buzyn avoue « avoir eu affaire à des comportements très déplacés dans son milieu professionnel ». Avec des chefs de service qui lui disaient « Viens t’asseoir sur mes genoux »…

Sans céder à la mode #dénonce… elle attend « que les homme se rebellent publiquement, aux côtés des femmes qui réagissent ».
 

Incontestablement, Agnès Buzyn est un atout social pour un président accusé de dérive libérale. Première réponse pour le professeur d’hématologie : elle va subir l’épreuve du feu politique mardi en défendant à l’assemblée son premier PLFSS, le Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale. Atout, mais aussi faiblesse, le nombre de sujets cruciaux dont elle va devoir débattre.

En attendant l’accueil des professionnels : ses anciens confrères de hôpitaux publiques, mais surtout les médecins libéraux qui ne retrouvent pas les réformes qu’ils attendaient et le font savoir, avec force, via leurs différents syndicats.