Morphine du pavot, aspirine de l’écore de saule, quinine des quiquinas…de nombreux médicaments proviennent de la nature. Pour débusquer les molécules aux propriétés biologiques intéressantes dont regorge le monde du vivant, les scientifiques s’appuient sur plusieurs critères.
Ainsi, l’ethnopharmacologie se fonde sur l’usage traditionnel, en particulier celui des végétaux, mais aussi des animaux ou d’autres produits de la biodiversité, par les populations locales. « On suppose que l’homme a recours aux plantes médicinales depuis la Préhistoire, souligne Pierre Champy (1) maître de conférence et chercheur au laboratoire de pharmacognosie de l’unité Biomolécules. L’utilisation de telle ou telle plante pour soigner une affection par des générations successives joue le rôle d’une sorte d’essais cliniques grandeur nature. L’approche scientifique permettra ensuite de conforter cet usage.
Une fois la région du globe choisie, en fonction des collaborations établies entre un laboratoire et un pays, il faut retrousser ses manches. « Quand on est sur le terrain, il est important d’avoir la méthodologie la plus adéquate par rapport à l’objectif initial. Si nous travaillons avec un industriel, la priorité est d’avoir beaucoup d’échantillons », constate Geneviève Bourdy de l’Institut de recherche pour le développement (2), au laboratoire PharmaDEV. Les scientifiques récoltent donc un maximum de plantes différentes, en privilégiant celles qui sont spécifiques à la région ou encore celles qui poussent dans des milieux extrêmes. « Parce qu’on suppose que leur résistance implique la présence de molécules particulières potentiellement intéressantes », renchérit Ali Al-Mourabit (3),de l’Institut de chimie des substances naturelles (ICSN). « Lors de la récolte, on peut aussi appliquer des critères de chimiotaxonomie », précise Geneviève Bourdy. Autrement dit, s’appuyer sur l’appartenance d’une plante à une famille dans laquelle des molécules d’intérêt biologique ont déjà été identifiées.
Les trésors du milieu marin
Les plantes ne sont pas les seules à renfermer des trésors potentiels. Depuis 50 ans, les chercheurs sondent ce nouvel eldorado pharmaceutique que constitue le milieu marin. Finalement assez peu explorés, océans et mers témoignent d’une diversité biologique qui se traduit par une diversité chimique et une originalité des structures moléculaires présentes. « Il y a plus de chance d’en trouver des nouvelles dans le monde marin », approuve Alexandre Maciuk (4) . Une promesse, donc, d’activités biologiques intéressantes.
Ali Al-Mourabit s’est ainsi plongé dans l’exploration des substances naturelles et la chimie des éponges, ces organismes à la frontière entre unicellulaire et pluricellulaire. La signalisation moléculaire au sein de l’éponge, d’une part, et entre l’éponge et les microrganismes qui la peuplent - jusqu’à 50 % de son propre poids -, d’autre part, explique l’extraordinaire diversité moléculaire des métabolites (5) trouvés en leur sein. Les molécules qu'Ali Al-Mourabit traque sont des alcaloïdes pyrrole-2-aminoimidazole (P-2-AI) fabriqués à partir d’acides aminés, les briques élémentaires des protéines. « Les P-2-AI révèlent des activités biologiques nombreuses, que ce soit dans la lutte antibactérienne, contre le cancer ou en tant qu'agent immunosuppresseur. » Plus de 150 membres de cette famille à la structure complexe ont été identifiés.
Actuellement, seuls 10 % des 250 à 300 000 espèces végétales ont été étudiés d’un point du vue biologique et chimique. Pour les micro-organismes, qui représentent plusieurs millions d’espèces, le ratio est de moins de 10 % chez les bactéries et moins de 5 % chez les champignons. Et très peu des 500 000 espèces d’organismes marins ont été étudiées. Il reste donc encore un nombre considérable de tiroirs à explorer dans cette armoire à pharmacie qu’est la nature, même si tous ne pourront pas être ouverts…
Julie Coquart
Sciences et santé, le magazine de l'Inserm
(1) Pierre Champy, : UMR8076 CNRS/Université Paris-Sud, Biomolécules : conception, isolement et synthèse (BioCIS)
(2) Geneviève Bourdy : UMR152 IRD/Université Paul-Sabatier, Pharmacochimie et pharmacologie pour le développement (PharmaDev), équipe PEPS
(3) Ali Al-Mourabit : UPR 2301 CNRS/ Université Paris-Sud, ICSN, équipe Chimie exploratoire et appliquée des substances naturelles
(4) Alexandre Maciuk, UMR8076 CNRS/ Université Paris-Sud,
Biomolécules : conception, isolement et synthèse (BioCIS)
(5) Métabolites : Composés intermédiaires issus du métabolisme de tout être vivant
Le taxol de l’if du Pacifique
Lors d’un programme de recherche lancé au début des années 1960 et destiné à trouver des molécules anticancéreuses, 108 000 extraits de plantes sont testés. Dans l’écorce de l’if du Pacifique (Taxus brevifolia), les chercheurs isolent le taxol, qui inhibe la division cellulaire, en particulier celle des cellules cancéreuses. Le rendement d’extraction étant faible, les chimistes tentent de le synthétiser en laboratoire, à partir d’une molécule précurseur présente dans l’arbre. L’un des composés intermédiaires produits à l’ICSN se révèle encore plus actif que le taxol. C’est le TaxotèreÒ qui deviendra un médicament utilisé en chimiothérapie.
L’aspirine du saule
Alors qu’Hippocrate, en 400 avant J. C., recommandait déjà l’usage de tisane de feuilles de saule pour soulager douleurs et fièvres, il faudra attendre 1825 pour que la salicine, responsable de ces propriétés, soit isolée à partir des écorces de l’arbre. En parallèle, on découvre dans la reine des prés – aussi appelée spirée (Filipendula ulmaria) - l’acide spirique. Sa structure est identique à celle de l’acide salicylique, obtenu par transformation chimique à partir de la salicine, et également présent dans l’écorce de saule. Les chimistes améliorent encore les propriétés de l’acide salicylique grâce à une réaction simple : l’acide acétylsalicylique, plus connu pour ses propriétés anti-inflammatoires et sous le nom d’AspirinÒ, est né.
La quinine des quinquinas
Suite à la conquête espagnole de l’Amérique du sud, des Jésuites, en mission dans la Cordillère des Andes, observent que les populations locales soignent les accès de fièvre du paludisme à l’aide de poudre d’écorce de quinquina rouge et jaune (Cinchona succirubra), des arbustes de haute altitude. Introduite en Europe en 1633, la poudre ne révèle ses secrets qu’en 1820, quand deux pharmaciens, Joseph Pelletier et Joseph Caventou, extraient deux principes actifs : la quinine et la cinchonine. Premier médicament efficace contre le paludisme, la quinine reste employée aujourd’hui, notamment en cas de résistance aux autres traitements, utilisés en première intention en raison de la neurotoxicité de la quinine. Les colons britanniques en Inde mélangeaient la quinine avec du gin pour en cacher le goût amer : le gin tonic était inventé !