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Dépression, troubles bipolaires

Comment les jeux peuvent nous soigner

Par Cécile Coumau

Les jeux vidéo peuvent nous rendre addicts mais ils peuvent aussi nous soigner. Dans les services de psychiatrie des hôpitaux, les jeux d'entraînement cérébral ou de mise en situation virtuelle viennent en aide aux dépressifs et aux bipolaires.

GILE MICHEL/SIPA
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En 2005, le Dr Kawashima a fait un tabac. Son jeu« Quel âge a votre cerveau ? » a longtemps été le jeu vidéo le plus vendu de tous les temps au Japon. Quatre à cinq ans plus tard, le succès commercial était incontestable mais plusieurs voix se sont élevées pour remettre en cause l’intérêt de ces tests de mémoire, de calcul mental ou encore de vitesse de lecture. Plusieurs études n’ont montré aucune amélioration des capacités de raisonnement ou de mémoire, autrement dit des fonctions cognitives. Des universitaires français n’hésitent pas à parler de charlatanisme. Depuis, les jeux d’entraînement cérébral ne sont plus en tête de ventes, pourtant le corps médical continue à s’intéresser à cet outil.


Et si, ce qui n’était qu’un simple jeu pour Mr Tout le monde, pouvait devenir un traitement pour des malades ? La remédiation cognitive assistée par ordinateur gagne en effet du terrain à l'hôpital. Par exemple, depuis 2009, le service de psychiatrie adulte de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière a recours à ces exercices d'entraînement cérébral pour certains patients dépressifs. Non pas pour agir sur leur humeur mais parce que l’on sait très bien que certains patients dépressifs souffrent de troubles de la mémoire, de la concentration ou encore, ont des capacités visuo-spatiales altérées.
C'est pourquoi certaines équipes utilisent ces jeux conçus pour le grand public. Le degré de difficulté des épreuves a été un peu diminué pour ne pas mettre les personnes en échec, mais la principale difference avec les jeux d’entraînement cerebral vendus dans le commerce n’est pas là. A l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, le patient passe d'abord un bilan neuropsychologique afin de repérer si les fonctions cognitives sont altérées et si c'est le cas, quelles sont les priorités.


Ecoutez le Dr Diane Samama, psychiatre au CHU de la Pitié-Salpêtrière : "Les malades dépressifs se dévalorisent et pensent donc, parfois à tort, qu'ils souffrent de troubles cognitifs".



Les impressions cliniques des médecins de la Pitié-Salpêtrière commencent à se confirmer. Des premiers résultats de l’étude menée à la Pitié-salpêtrière montrent qu’il y a une amélioration au niveau de l’anxiété des patients. Côté cognitif, « on a pu mesurer que la vitesse de traitement des informations était meilleure, mais pas vraiment sur les autres fonctions, reconnaît Diane Samama. En fait, la remédiation cognitive assistée par ordinateur joue sans doute davantage sur l’estime de soi. Le patient voit qu’objectivement, il progresse et qu’il arrive à faire des choses seules, sans être forcément accompagné par un thérapeute. »


Bien sûr, la remédiation cognitive n’est pas née avec le Dr Kawashima. Loin de là… Il existe des ateliers de remédiation sans ordinateur, mais “l’outil informatique apporte un plus, declare le Dr Diane Samama, psychiatre au CHU de la Pitié-Salpêtrière. Du coup, les exercices sont dénués d’émotion puisqu’il y a moins d’échange avec le thérapeute ou avec un éventuel groupe. Le malade est davantage centré sur l’exercice, et il peut mieux contrôler ses marges de progression”.


Le virtuel au service du réel des bipolaires


Les dépressifs ne sont pas les seuls à “jouer”. Les bipolaires s’y mettent aussi. Le laboratoire AstraZeneca vient de présenter « Bipolife ». Cette fois, pas question de lire ou de compter le plus vite possible pour muscler son cerveau. Ce jeu interactif s’appuie sur un concept connu des médecins, la psychoéducation. Un bipolaire bien informé sur sa maladie sera plus à même de stabiliser son humeur et donc d’éviter les alternances de phases dépressive et maniaque.
« Une étude a déjà démontré qu’un programme de psychoéducation faisait baissait de 30% les risques de suicide et de consommation de médicaments », explique le Dr Philippe Nuss, psychiatre à l’hôpital Saint-Antoine à Paris. Dans ces ateliers de psychoéducation, les malades apprennent notamment à ménager des rythmes de vie réguliers pour éviter toute source de stress, qui peut favoriser les rechutes. « Mais, nous, nous faisons l’hypothèse que le respect de cette bonne hygiène de vie ne suffit pas et que certaines tâches quotidiennes sont aidantes alors que d’autres sont délétères », témoigne Philippe Nuss.
Pour être transporté dans la vie quotidienne, rien de tel qu’un jeu vidéo. Avec « Bipolife », les malades se choisissent un avatar et ils vivent en 30 minutes l’expérience d’une journée. Leur personnage virtuel se retrouve confronté à un ensemble de situations de la vie courante. Ouvrir une boîte de conserve ou se cuisiner des petites légumes ? Traîner au lit ou sortir promener le chien ? Un concentré de choix qui auront un impact sur leur humeur.


Ecoutez le Dr Philippe Nuss, psychiatre à l'hôpital Saint-Antoine :"Dans le jeu, il y une jauge d'énergie et une jauge de moral. Les actions qui sont proposées doivent l'aider à faire remonter ces jauges. Et donc à apprendre à se protéger dans la vie de tous les jours."



Le sujet est face à lui-même puisqu’il crée un personnage qui lui ressemble mais qui n’est pas tout à fait lui, ce qui est très important sur le plan pédagogique. En effet, chacun construit un avatar qui lui ressemble plus moins ou moins. « Il peut avoir une barbe ou pas, porter des mini-jupes ou un pyjama… C’est très important parce que par exemple, certains patients ne comprenaient pas pourquoi ils ne parvenaient à améliorer l’humeur de leur avatar. Ils ont réalisé leur erreur quand un petit message leur a indiqué qu’il serait peut-être temps d’enlever leur pyjama. » Une équipe hospitalière de Montpellier va évaluer scientifiquement la pertinence de Bipolife. Après 10 mois de Bipolife, le nombre de rechutes, de tentatives de suicide, de consultations médicales a-t-il baissé ? Résultat en 2014.