Il y a dans notre pays un suicide toutes les 50 minutes… Ce n’est, le plus souvent, qu’un appel au secours non entendu. En particulier des médecins, puisque 60 à 70 % de ceux qui passent à l’acte ont consulté dans le mois précédant et 36 % la semaine précédente.
Le suicide est un sujet considéré comme tabou par de nombreux Français. C’est une grave erreur ?
Dr ÉDP : Toute information concernant le suicide est en effet souvent jugée tabou, mais pas que chez nous : c’est le cas aussi dans la plupart des civilisations. Pourtant, dans notre pays, si l’on parle beaucoup – à juste titre – des 4000 morts provoqués par la voiture, on passe souvent sous silence les 11 000 suicides « réalisés » – ce mot est infiniment préférable à celui de « réussis » – mais encore plus, les cent mille tentatives qui, si elles ont échoué n'en restent pas moins le signe d'une profonde détresse.
Sujet tabou ? Pourtant 60 à 70 % de ceux qui passent à l’acte ont consulté un médecin dans le mois précédent et 36 % la semaine précédente ?
Dr ÉDP : Il faut être honnête, ils ont très rarement consulté pour évoquer un éventuel suicide, la plupart du temps, c’était pour des raisons futiles qui ne sont que l’expression différente de leur mal être.
Cela ne veut pas dire que notre corps médical est incompétent, mais plutôt que la crise suicidaire est un état difficile à identifier et qu’il y a donc un vrai défi médical pour mettre en évidence ces états dépressifs cachés.
Vous parlez d’idées-fausses : il s’agit de quoi ?
Dr ÉDP : Contrairement à une légende tenace, le suicide PEUT se prévenir et n’est pas l’expression d’un quelconque libre-arbitre, la possibilité de choisir l’instant de sa propre fin.
Au moment du passage à l’acte, il représente la seule solution perçue par la personne pour cesser d'avoir mal et c’est toujours la manifestation d’une souffrance, en grande majorité une dépression nerveuse.
Ce qui signifierait qu’il n’y a pas de suicide sans dépression nerveuse.
Dr ÉDP : C’est une évidence… 3 millions de Français souffrent de dépression. On estime que 10% des hommes et 20% des femmes seront atteints de cette maladie au cours de leur vie, le plus souvent sans mettre un nom sur leur mal.
Quel peut être le rôle de l’entourage ?
Dr ÉDP : Lutter contre le suicide c’est également un défi social, le plus souvent doublé d’un défi familial. Solitude, échec, violence, chômage, exclusion, dépression… on parle toujours des causes. Elles sont, la plupart du temps en effet, nombreuses, alors que la main tendue, l’échange, le dialogue sont eux, plutôt rares. Défi familial car, chez les adolescents, les tentatives de suicide ne cessent d’augmenter. Or, aucun médicament n’est meilleur que l’écoute, puis le dialogue.
En particulier doit-on en parler ? C’est toujours la question que l’on se pose.
Dr ÉDP : Il faut toujours aller chercher les idées de suicide, en n’ayant pas peur de poser la question directement. C’est un phénomène antinaturel qui entraîne une honte, une profonde culpabilité. Si quelqu’un pose la question, celui qui y songe sera soulagé d’y répondre par l’affirmative. C’est faux de dire que ceux qui en parlent le plus le font le moins : 50% de ceux qui ont fait une tentative récidivent…
Est ce qu’il existe des signes avant-coureurs ?
Dr ÉDP : Il faut aussi se méfier des idées reçues pour identifier ces signes. Bien évidemment, un enfant qui devient taciturne ou qui présente des difficultés nouvelles à l’école alerte presque toujours ses parents. Mais, ce devrait être également le cas d’un enfant qui change de personnalité, d’apparence physique ou qui devient anormalement agressif. Des manifestations de l’adolescence qui paraissent banale… mais qui expliquent pourtant pourquoi, là encore, plus de la moitié des parents passent à côté… tout comme les enseignants qui, eux aussi, ont leur part de culpabilité, en ne tirant pas le signal d’alarme, car ce sont malheureusement eux qui consacrent le plus de temps aux enfants.