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Entretien avec le Pr Lejoyeux

Affaire Cahuzac: le mensonge traduit une souffrance

Par Cécile Coumau avec Melanie Gomez

Pour le Pr Michel Lejoyeux, révéler la vérité à la suite d'un mensonge  comporte des risques d’états psychiatriques aigües.

BERNARD BISSON/JDD/SIPA
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Le mensonge ! Le mot s’étale à la Une de tous les médias. Hier, Jérôme Cahuzac a avoué qu’il possédait bel et bien des comptes à l’étranger. Une révélation qui a fait l’effet d’une bombe à cause de la gravité des faits, mais aussi des quatre mois pendant lesquels l’ancien ministre délégué du Budget a menti.

 

Pour en savoir plus sur la définition psychiatrique du mensonge, pourquoidocteur a interrogé le Pr Michel Lejoyeux, chef de service de psychiatrie à l’hôpital Bichat.

 

pourquoidocteur : En psychiatrie, que signifie le mensonge ?

Pr Michel Lejoyeux : Au niveau psychiatrique, il y a ce que l’on appelle le mensonge utilitaire que connaissent les enfants. Par exemple, ils arrivent en retard quelque part et  vont raconter un mensonge pour se sortir d’une situation difficile. Et puis il y a un mensonge qui correspond plus à ce qu’un psychiatre de 19ème siècle appelait l’impulsion narratrice. C’est-à-dire au fond, l’envie de mentir pour mentir. C’est une sorte de dépendance au besoin de mentir.  

  


Révéler la vérité, est-ce un soulagement ou une  souffrance ?

Pr Michel Lejoyeux : De toutes façons,  je crois que lorsque quelqu’un est confronté à la réalité de son mensonge, il ne peut pas aller bien. En tout cas, pour un médecin, il est impossible de ne pas entendre une souffrance considérable. Le fait d’être révélé dans son comportement de mensonge, c’est un écroulement existentiel et cela comporte des risques d’états psychiatriques aigües.

 


Jérôme Cahuzac parle de “spirale du mensonge”. Pourquoi ne pas saisir les occasions de dire la vérité ?

Pr Michel Lejoyeux : Dans certains cas, le mensonge peut s’autonomiser. Il peut devenir même, une espèce d’existence en soi. Si on commence à mentir sur quelque chose, c’est difficile de revenir en arrière.

Quand le mensonge est aussi important, traduit-il un trait de personnalité psychiatrique ?

 

Pr Michel Lejoyeux : Non par forcément, c’est un comportement qui peut recouvrir des personnalités très différentes. Il n’y a pas « une » personnalité du menteur, ce n’est pas non plus un diagnostic, c’est un comportement qui peut obéir à des déterminismes multiples. Faire du mensonge une sorte de syndrome ou de maladie, dont on dirait il y a une personnalité, une fréquence ect…Ce serait une aberration.



Mais, le mensonge pathologique, ça existe, c'est la mythomanie. Est-ce que c’est fréquent ?

 

Pr Michel Lejoyeux : C’est probablement fréquent, mais les gens ne viennent jamais consulter un médecin en disant qu’ils sont mythomanes et qu’ils voudraient être aidés. Parce qu’une des choses du mensonge, c’est l’agnonosie, c’est la non reconnaissance du caractère du mensonge, sauf quand les circonstances y obligent. La mythomanie reste une zone grise de la médecine, on a pas une consultation de psychologie du mensonge à l’hôpital Bichat. 

 


A-t-on a une idée des facteurs qui favoriseraient le développement de la mythomanie ?

Pr Michel Lejoyeux : Une des hypothèses sur le mensonge, c’est de se dire qu’on est d’autant plus amené à mentir quand on a subi des traumatismes dans son enfance. Et puis que lorsque l’on se ment sur son passé, on a tendance à se mentir sur son présent. Il y a probablement une maladie, mais que l'on connaît mal en psychiatrie, qui est ce besoin de se protéger par la fuite, plutôt que de se protéger par des explications.