Une partie de Taboo, à l'échelle des États-Unis. Vendredi dernier, le Washington Post, a dévoilé une information qui a immédiatement suscité un tollé médiatique. D’après le prestigieux quotidien, l’administration Trump aurait demandé aux fonctionnaires des CDC (Centers for Disease Control and Prevention), l’institution fédérale en charge de la santé publique, de s’abstenir d’employer certaines expressions. Des mots aussi choquants que « vulnérable » ou « diversité » seraient désormais bannis du vocabulaire officiel de l’agence.
Cette étonnante mise à l’index a eu lieu jeudi dernier au siège des CDC, à Atlanta, lors d’une réunion d'une heure et demi organisée par les cadres financiers de l’organisation à destination des coordinateurs de politiques publiques. La liste complète comporte sept mots, autant que de péchés capitaux : « vulnérable », « droit à prestation » (entitlement), « diversité », « transgenre », « fœtus », « fondé sur les preuves » (evidence-based) et « fondé sur la science » (science-based).
Nouveau ministre en prévision
La chef du service financier qui a formulé ces consignes n’a pas donné de justification, d’après la source (anonyme) du Washington Post, mais s’est contenté de déclarer qu’elle répercutait des consignes qu’on imagine reçues en haut lieu. Dans certains cas, les expressions censurées devaient être remplacées par des périphrases. Ainsi en est-il de « fondé sur la science », qui deviendrait selon l’exemple donné : « le CDC fonde ses recommandations sur la science en tenant compte des normes et préférences locales (community standards, ndlr) ».
Comme n’ont pas manqué de le relever les médias américains, cette liste dessine en creux les bêtes noires de l’administration Trump. Le droit à l’avortement, les questions d’identité de genre et d’orientation sexuelle, les aides sociales, sont autant de marqueurs que la Maison Blanche souhaiterait mettre sous le boisseau, afin de tourner définitivement la page de l'ère Obama.
L’affaire intervient dans un contexte d'instabilité à la tête du département de la Santé américain (Health and Human Services, HHS). Le précédent secrétaire d’État, Tom Price, a été poussé vers la sortie en septembre dernier, pour avoir financé des voyages en jet privé aux frais du contribuable. Le futur secrétaire d’État, Alex Azar, bénéficie d’une réputation de compétence et de pragmatisme (en anglais). Mais sa nomination n'a pas encore été validée par le Sénat, et le département est pour l'heure dirigé par un ancien de l'administration de George W. Bush, l'avocat Eric Hargan.
Motus et bouche cousue
Du côté des officiels, peu de réactions à ce stade. « L’affirmation selon laquelle le HHS aurait "interdit des mots" est une interprétation erronée de discussions portant sur le processus d’élaboration du budget », a réagi le porte-parole du département du HHS, auprès d’ABC News. « Le HHS continuera à se fonder sur les meilleures données scientifiques à disposition pour améliorer la santé de tous les Américains. » Une mise au point jugée timide par la presse américaine, qui pointe l’absence de dénégation formelle.
Constitués de huit centres dispersés aux États-Unis, les CDC sont une prestigieuse agence fédérale chargée d’orienter les politiques de santé publique américaines en matière de prévention des maladies, de santé environnementale et de promotion de la santé. Depuis l’arrivée de Trump aux manettes, et a fortiori depuis cet été (en anglais), elle est priée de verrouiller sa communication. Sur le compte Twitter officiel de l’agence, on reste imperturbable : depuis vendredi, s’y affiche une photo de chiot à ruban, censée alerter sur les dangers des germes canins. Sur AlternativeCDC, un compte fondé par des employés anonymes du CDC, on ne s’est en revanche pas privé, ces dernières heures, d’égrener un à un les mots interdits...