Les chercheurs s'intéressent de plus en plus aux « phages », qu’ils appellent les « nano-machines » de la nature. Les « bactériophages », ou simplement les « phages », sont des virus qui infectent et se répliquent dans des bactéries. Grâce à une « stratégie prédateur-proie » complexe, les phages ont la capacité de modifier l'équilibre microbien. Ils possèdent donc un potentiel considérable pour combattre la résistance aux antibiotiques et d'autres menaces pour la santé humaine.
Une nouvelle revue publiée dans le British Journal of Pharmacology examine les défis et les opportunités de développer des phages en tant que bioantibiotiques commercialement viables et améliorant la santé. Parmi les découvertes, on apprend que les phages ont des relations complexes avec les bactéries dans l'intestin qui pourraient modifier le microbiote intestinal, la santé et la maladie.
Nombreux cas rapportés d’efficacité
Une amputation évitée, une plaie purulente depuis des mois, nettoyée en quelques jours. Dans les deux cas, grâce à l’application d’un produit tout simple : c’est cela le « miracle » des bactériophages (on dit aussi phage dans une version plus populaire !) qui suscitent, depuis quelques semaines, de nombreux articles.
Pas le résultat spectaculaire d’une nouvelle arme de l’industrie pharmaceutique, mais un simple liquide, fabriqué de façon quasi artisanale, et qui contient ces fameux phages, près d’un milliard par millilitre. L’évolution de la vie sur notre planète est sans doute liée au combat acharné entre les bactéries et les phages. Deux ennemis éternels mais un couple universel en balancement permanent.
Le virus de l’évolution
Le phage est l’entité biologique la plus importante sur terre. Cent fois plus petit qu’une bactérie. Chacune d’elle en contient au moins un, souvent plusieurs, toujours prêts à attaquer si la bactérie devient dangereuse. La mutation des phages expliquerait le cycle des grandes épidémies, comme celle du choléra. La bactérie de cette maladie infectieuse devient soudainement virulente, entraînant de très gros dégâts et une épidémie foudroyante. Jusqu'à ce que les phages qu’il contient se réorganisent et détruisent toute bactérie agressive. Fin de l’épidémie et retour à la normalité… jusqu’à la prochaine mutation. Pendant cette période de paix relative les phages se livrent à leur deuxième occupation fondamentale : la participation aux transferts génétiques à l’intérieur de la cellule bactérienne.
Une très grande variété de phages
On a recensé environ 6000 variétés de phages, il est probable que le monde en comporte beaucoup plus. Mais en dehors de ce comptage, la recherche ne semble les considérer que comme des outils pour les manipulations génétiques. Ce que déplore le docteur Alain Dublanchet. Ce médecin biologiste, ancien chef de service à l’hôpital de Villeneuve Saint Georges, a décidé de leurs consacrer sa nouvelle vie de retraité. Il en est devenu le spécialiste Français incontesté mais qui prêche dans un quasi désert. « Pourtant les preuves thérapeutiques sont incontestables. Ces plaies nettoyées, ces amputations évitées qui ne sont qu’une infime partie des services que ces produits peuvent rendre ».
On parle en effet de résultats similaires dans les infections pulmonaires ou urinaires graves, ou dans la mucoviscidose. « Avec des effets secondaires quasi négligeable et une rapidité d’action spectaculaire ». Alain Dublanchet ne tarit pas d’éloge. Sauf que son enthousiasme ne se transmet pas ; ni à l’industrie pharmaceutique, ni à ses confrères universitaires. La belle histoire reste confidentielle.
Enjeux financiers
On pourrait croire que les enjeux financiers sont importants. Les laboratoires répondent que dans leur forme primitive, il s’agit de produit naturels non brevetables donc avec une plus-value négligeable. Les fabriquer serait donner naissance à une forme d’OGM thérapeutique avec les obstacles éthiques que l’on peut imaginer. Les biologistes ne nient pas l’intérêt mais préfèrent confiner les phages à la technique des transferts de gènes, en les utilisant comme de véritable « seringues » pour réaliser toutes sortes de manipulations sur les cellules. La « phagothérapie » est pourtant née dès 1919, mais l’enthousiasme initial a été balayé par la mise au point d’antibiotiques de plus en plus puissants. On connaît la suite de l’histoire : les microbes font de la résistance et les antibiotiques deviennent des armes d’opérette.
Un revival des phages
Sans que l’on ne évoque à nouveaux les phages. C’est probablement la pression d’une nouvelle forme de médecine, beaucoup plus calquée sur l’utilisation des processus naturels de défense, qui va remettre cette recherche à la mode. Toutefois le monde des spécialistes des maladies infectieuse qui parle de « médecine naturelle gentillette » exige – principe de précaution oblige – des études comparatives, longues et coûteuse, une décision que personne ne semble prêt à prendre.
Et le Alain Dublanchet de conclure : « Je ne suis pas entendu. Je ne fais pas de commerce, cela me coûte même de l’argent. Je ne dis pas que j’ai raison, ma seule motivation est la connaissance et tous ces malades qui sont là pour témoigner ». La phagothérapie n’est ni interdite ni autorisée, ce qui rends, pour la plupart des médecins, la responsabilité trop écrasante pour les prescrire. L’état de nos finances risque probablement de changer notre mode de décision.