C’est une autre histoire que la médecine aimerait vite oublier : il y a moins de 25 ans, un médecin a voulu comprendre pourquoi certains bébés mouraient encore, lors d’opérations de l’appendice, pourtant très simples et sans complications apparentes. C’est du côté de la douleur qu’il a trouvé la réponse. En effet, il régnait à l’époque en pédiatrie, un dogme : le système nerveux du tout petit n’étant pas encore mature, il ne ressentait pas la douleur ; donc, pas besoin de donner des médicaments contre celle-ci, en particulier lors d’interventions chirurgicales. Et c’est ce qui se faisait ! Une seule conclusion s’imposait : tous ces enfants mouraient en fait … de douleur ! Depuis cette découverte effarante, les tout-petits, comme leurs aînés, bénéficient des 3 composantes essentielles à toute anesthésie.
Sommeil, immobilité, absence de douleur
La première, bien évidemment, c’est endormir le futur opéré. Pour le plonger dans l‘inconscient. La seconde, plus subtile, est réclamée par les chirurgiens : immobiliser l’opéré. Parce que même endormi, les muscles du malade répondent à l’agression du bistouri en se contractant de façon réflexe. C’est pourquoi on injecte du curare dont les propriétés paralysantes sont connues depuis des siècles. Un curare tellement efficace qu’il paralyse aussi les muscles de la respiration : d’où la nécessité d’intuber et de brancher sur une machine à respirer tous les opérés. La voix enrouée et les maux de gorge de certains réveils viennent de là.
Enfin, dernière composante de l’anesthésie, la lutte contre la douleur que le cerveau enregistre même profondément endormi et totalement paralysé. Avec les conséquences dramatiques que l’on vient de voir avec les tout-petits. Certains produits antalgiques utilisés aujourd’hui sont un million de fois plus puissants que la morphine.
Un vol transatlantique
Faut-il avoir peur de l’anesthésie ? Pas plus, cela ne rassurera peut-être pas tout le monde, que de prendre un avion de ligne ! L’endormissement, c’est le décollage ; le sommeil pendant l’intervention, le vol ; et le réveil, l’atterrissage. La comparaison ne s’arrête pas là. Si malheureusement, dans les deux cas, il existe – très rarement – des accidents, ceux-ci surviennent avec la même fréquence dans les phases similaires. Le décollage est le plus dangereux ; l’induction de l’anesthésie également. L’allergie, c’est la panne de moteur en pleine poussée, le risque de voir le cœur s’arrêter comme un véritable fusible de notre vie.
Pendant la deuxième phase, comme pendant un vol en altitude, peu ou pas de problèmes. Les turbulences sont loin et seul l’acte chirurgical lui-même représente un risque si le malade est en mauvais état général ou si la technique est délicate. L’anesthésiste n’a qu’à contrôler quelques paramètres.
En revanche, le réveil est plus délicat, tout comme l’est un atterrissage. Il faut être vigilant même si reprendre conscience est un phénomène extrêmement naturel. C’est le rôle de la salle de réveil.
Surveillance du début à la fin
« J’ai fait ce que je devais faire. Le seul reproche qu’on peut me faire, c’est de ne pas être resté assez longtemps avec l’enfant pour vérifier qu’il recommençait à respirer normalement », a dit le médecin responsable de cette anesthésie tragique pour sa défense.
Et c’est là que l’actualité vient de nous rappeler qu’il ne faut pas, en médecine, se laisser gagner par la routine. Par exemple, la règle en vigueur qui consiste à calmer très profondément les patients en réanimation n'est plus la meilleure solution. On pensait que plus la sédation était forte, plus le malade oubliait tout ce qu’il se passait en réanimation, la douleur et les soins. Une étude montre le contraire : en salle de réveil, il faut calmer, mais avec discernement. Diminuer les doses de médicaments a permis en effet de réduire de moitié le temps passé sous respirateur artificiel. Et plus surprenant, le taux de mortalité en salle de réveil a diminué de 6 %. L’explication des anesthésistes réanimateurs est simple : même avec de fortes doses de calmants, on n’oublie rien. Plus l’endormissement est profond et surtout dure longtemps, plus on perturbe les fonctions intellectuelles car le cerveau en garde le souvenir. Cela crée donc une confusion qui augmente le stress ressenti au réveil, un stress qui parfois se prolonge des semaines après le séjour en réanimation. Il est donc nécessaire de gérer avec beaucoup plus de précision cette phase de réveil, en laissant l’opéré suffisamment réveillé sans qu’il souffre pour autant. Un équilibre périlleux difficile à obtenir et qui demande une attention de chaque instant auprès du malade. Ce qui explique que, malgré la démonstration éclatante de cette étude, moins d'un quart des services de réanimation appliquent ces protocoles, essentiellement par manque de personnel de surveillance.