« Les progrès médicaux sont constants, souvent spectaculaires mais l’inflation des dépenses est continue… », rappelle d’emblée le Pr René Mornex, qui poursuit sa croisade en faveur de la pertinence des actes médicaux à l'Académie de médecine. Trop d’actes médicaux sont réalisés en dehors des recommandations : soit par manque de recommandations, soit sous la demande anxieuses des malades ou par précaution dans le but de se couvrir sur le plan judiciaire en cas d’éventuelles complications. Le constat a été posé.
Aujourd'hui, l’Académie de médecine souhaite faire bouger les choses « Ne pas faire plus, mais faire mieux et ayant conscience des coûts. La stratégie médicale pertinente consiste à prescrire et à programmer chacun des actes dans un orde approprié, adapté à chaque situation clinique, compte tenu des disponibilités des ressources de santé, dans un esprit d’efficience. » Tel est le credo du Pr René Mornex.
Pour l’Académie, ce problème ne doit pas seulement être traité par les professionnels de santé mais aussi par la population. « Le consumérisme médical est une tendance de plus en plus forte dans la population, elle peut prendre plusieurs formes comme celle de se dire « j’ai payé, j’y ai droit » ! » souligne le Pr René Mornex. Il peut y avoir aussi une exigence, bien légitime, de rapidité dans la recherche de la bonne stratégie. « Cette impatience peut inciter le médecin à prescrire certains examens sans avoir pris le temps de faire une évaluation sérieuse de leur pertinence », admet ce spécialiste. Pour sensibiliser la population, à l’image de ce qui a été fait par l’assurance maladie sur les antibiotiques « qui ne sont pas automatiques », l’Académie demande aux pouvoirs publics de lancer une grande campagne d’information.
Pour les professionnels de soins, le doyen honoraire de la faculté de médecine de Lyon propose quelques réformes, notamment dans les études médicales. Il souhaite que les examens des étudiants prennent en compte la notion de pertinence des actes. Ensuite, il demande à la Haute Autorité de santé (HAS) de développer ses recommandations de bonnes pratiques cliniques. Un travail que la HAS a déjà lancé. « Nous avons été saisi plusieurs fois soit par le ministère de la santé, soit par l’assurance maladie, sur des sujets relatifs à la pertinence soit des séjours hospitaliers ou des actes de chirurgie, confirme Thomas Le Ludec, le directeur de l’amélioration et de la qualité des soins à la HAS. Par exemple, nous avons été saisi pour définir les indications de l’appendicectomie, pour définir des indications pour la chirurgie de l’obésité chez l’adulte. »
Eviter les césariennes inutiles
Suite à ces travaux, des recomandations ont été publiées pour l’opération de l’appendicite, ablation de la vésicule biliaire… Et la HAS ne se contente pas de publier des recommandations de bonnes pratiques. C’est le cas pour les césariennes programmées. En avril 2012, avec les sociétés savantes de gynécologie et d’obstétrique, elle a formulé des recommandations pour permettre aux médecins de faire les bons choix. Désormais, une césarienne n'est pas obligatoire si l'on attend des jumeaux ou si l'on a déjà accouché une fois par césarienne. Autre nouveauté : le poids de naissance. Si l'on prévoit un bébé de plus de 5kg, la césarienne est recommandée. En revanche, entre 4,5kg et 5kg, cela se discute au cas par cas. « Nous sommes allés plus loin que la simple publication de bonnes recommandations, explique Thomas Le Ludec, directeur de l’amélioration et de la qualité des soins à la HAS. Nous avons mis en place un programme d’évalutation des pratiques avec des indicateurs très précis, qui devraient aider les professionnels à s’auto-évaluer et à prendre des mesures correctives. Ce programme est aujourd’hui déployé dans quinze régions avec l’appui des réseaux de périnatalité et des agences régionales de santé. »
Ecouter Thomas Le Ludec, directeur de l’amélioration et de la qualité des soins à la HAS.« Nous avons élaboré une dynamique avec les réseaux de périnatalité. »
A l’instar de ce programme de la HAS, des établissements ont aussi pris des initiatives en la matière. Au CHU de Toulouse, les réunions de concertation pluridisciplinaires, instaurées en oncologie par le plan Cancer de 2003, ont été développées dans d'autres domaines d'activités. "Il existe plus 70 réunions pluridisciplinaires hors cancer, par exemple pour les pathologies vasculaires thrombotiques, pour les pathologies des artères rénales dans le cadre de l'hypertension artérielle, etc... C'est un outil très puissant pour développer la qualité et s'interroger sur la pertinence des actes et des examens. Au cours de ces réunions, les médecins examinent au cas par cas la situation des malades pour s'assurer qu'on donne le juste soin. Cela donne une véritable dynamique à l'établissement", témoigne le Pr Bernard Pradère, le président de la commission médicale du CHU de Toulouse et chirurgien digestif.
Autre initiative, dans le pôle de réanimation du CHU, "une démarche pédagogique a été lancée pour évaluer la pertinence des examens biologiques qui sont demandés en urgence, cela a permis de réduire l'utilisation d'examens très sophistiqués et très chers, et l'établissement a pu économiser 5 ou 600 000 euros en un an", témoigne le Pr Pradère. Même type d'initiative pour les examens d'imagerie réalisés au lit du malade, l'établissement a pu réduire de moitié le nombre de radiographie thoracique. Un résultat intéressant pas seulement sur le plan économique mais aussi pour la santé des malades car ils sont moins irradiés.
Ecouter le Pr Bernard Pradère, chirurgien digestif et président de la commission médicale du CHU de Toulouse. "L'intérêt de diviser le nombre de radiographies thoraciques, c'est de réduire la radioactivité artificielle et bien sûr de moins irradier les patients."
L’Académie de médecine met aussi l’accent sur l’organisation des soins. « L’imagerie médicale mériterait une réorganisation, défend René Mornex, la logique d’organisation devrait être par organe et non par machines : le parc d’IRM doit être accru dans un dispositif de réseau de compétence, avec des plateaux communs entre le public et le privé autour d’un même organe, et avec la possibilité pour les cas difficiles des réunions pluridisciplinaires. »
Elle pointe aussi la rémunération des activités médicales. « Certaines dérives sont dues au fait que les actes techniques sont parfois mieux rémunérés que les actes intellectuels, il faut certainement rétablir l’équilibre et valoriser le temps de la réflexion, estime le Pr René Mornex. Dernier point, qui ne fera pas plaisir aux médecins, c’est un appel du pied à l’assurance maladie pour renforcer ces contrôles auprès des praticiens. « Il serait peut-être utile que le système de la Sécurité soicale repose sur des interlocuteurs adaptés plus expérimentés, plus spécialisés, souligne le Pr René Mornex. Elle pourrait aussi utiliser les délégués non médicaux pour informer les médecins sur les évolutions des textes et des recommandations ».