Médecins et personnels en grève, surcharge de travail, tarification à l'activité, budget qui n'augmentera qu'à raison de la moitié des dépenses prévisibles, l'hôpital est en crise en France.
La ministre de la santé, Agnès Buzyn, a évoqué sur Europe 1, vendredi, la nécessité « d’inventer un nouveau modèle de financement de l'hôpital » pour « que ce ne soit pas uniquement un financement qui pousse à une activité démesurée [...] Il faut qu'on valorise la compétence particulière des hôpitaux, l'enseignement, la recherche, la capacité à faire de la bonne médecine, la qualité des soins ». Il s’agit également de « répondre au malaise exprimé notamment par les agents des établissements publics de santé ».
La ministre a promis qu’un travail de refonte complet allait être mené, mais constatant l’ampleur de la tâche et l’absence totale du moindre embryon de proposition dans son ministère lorsqu’elle y est arrivée, elle n’a pas donné de calendrier.
Contre la T2A et la « technocratie sanitaire »
Si elle cherche des compétences et des idées plus réalistes que celles de la « technocratie sanitaire » de son ministère, elle n’aura pas de mal à les trouver à l’hôpital même, où différents acteurs de la santé se dévouent pour continuer à y assurer une médecine humaine et de qualité en dépit des nombreux obstacles administratifs qui leur sont imposés.
Voyant que, depuis son lancement, le système de la « tarification à l’activité » (T2A) allait droit dans le mur, certains y réfléchissent et en discutent même depuis longtemps dans la perspective de faire participer l'ensemble de la communauté médicale hospitalière à cette réflexion.
Parmi, ces différents acteurs de la santé de l’hôpital, certains discutent librement sur un blog tenu par le Pr André Grimaldi, diabétologue de renom à la Pitié-Salpêtrière, à Paris, et pourfendeur de la première heure de l’inadaptation de la logique de « l’hôpital entreprise » à la prise en charge des maladies chroniques. Il a accepté de partager ses réflexions.
Des dépenses de santé dans la moyenne de l’OCDE
La France dépense globalement 11% de son PIB pour la santé, comme l'Allemagne, les Pays Bas, la Belgique, le Canada, la Suisse, l'Autriche, le Japon .... soit beaucoup plus que l'Angleterre (9%), mais beaucoup moins que les Etats-Unis (17%)
En dépense absolue par habitant, la France est le 11ème des pays de l’OCDE. Il faut donc arrêter de dire que la France est le mauvais élève de l'Europe ou des pays riches
La France recule dans les classements
Ce qui est vrai, c'est que dans différents classements, la France recule pour 2 raisons historiques :
- La prévention et la mortalité évitable avant 65 ans (le cancer du poumon continue à progresser chez les femmes en raison du tabagisme) : la France est à l'avant garde contre les perturbateurs endocriniens, à juste titre, mais à l'arrière garde pour la prévention des complications liées à l'alcool et au tabac.
- Les inégalités sociales de santé qui sont aussi des inégalités territoriales de santé, faute d'avoir construit un système de santé de proximité basée sur des équipes pluri-professionnelles de premier recours.
La santé, un bien commun
La Sécu n'est pas un modèle historique dépassé. Elle fût une construction « géniale », rangeant la santé parmi les « biens communs », ni étatiques (Beveridge), ni privés (assurances privées mutualistes ou non).
Elle bénéficie donc de recettes dédiées (cotisations, taxes et impôt spécifique = CSG) et d'une gestion autonome. Mais les dépenses de Sécu en 1945 se situaient autour de 2,5% ou 3% du PIB, la population était jeune et assez bien portante et les indemnités portaient surtout sur les indemnités journalières.
La Sécu était liée au travail et donc pas universelle. De plus il s'agissait d'un compromis avec les assureurs privés (les mutuelles).
Une dérive de la gouvernance
La dérive c'est faite vers l'étatisation de la gestion et l'abandon de pans entiers aux assureurs privés notamment les dépassements d'honoraires au nom du « trou de la Sécu » ! (le secteur 2 a été créé en 1980 par Raymond Barre pour ne pas avoir à augmenter les tarifs des médecins du secteur 1).
Dans l'esprit de la santé « bien commun », il s'agirait aujourd'hui
- De distinguer ce qui relève de la solidarité nationale (remboursé à 100% par la Sécu), de ce qui n'en relève pas,
- D'appliquer la règle d'or de l'équilibre obligatoire des comptes par augmentation des recettes dédiées et/ou diminution des dépenses,
- De mettre en place une cogestion (Etat / professionnels / usagers / partenaires sociaux).
La contradiction organisée
Les hôpitaux publics vivent aujourd'hui une contradiction (encore une fois voulue) : ils sont condamnés à la rentabilité, comme une clinique privée (à but lucratif ou non), mais ils ne peuvent pas choisir leur activité médicale sur des critères de rentabilité et leur personnel « bénéficie » d'un statut de garantie de l'emploi (dont, il est vrai, certains abusent).
Contrairement au privé, les agents publics ne sont pas contractuels avec un emploi révisable et un salaire variable.
Et nous avons grâce à notre statut de fonctionnaire gardé une liberté de parole et de critiques que n'ont pas les médecins exerçant dans les cliniques privées. Il est un établissement ESPIC où le directeur peut dire à « son » chirurgien vasculaire : « je veux 500 varices par an! » Et le chirurgien répond : « bien monsieur le directeur ». Le PDG a remplacé le mandarin !
Mais il y a surtout 2 grandes différences de principe entre un hôpital public et une clinique privée (à but lucratif ou non).
Le Privé doit être rentable
Une clinique doit être rentable et, pour ce faire, elle sélectionne ses activités, ce que ne peut pas et ne doit pas faire l'hôpital public. Un médecin se rappelle de Foch et de son transfert à l’Institut Mutualiste Montsouris (IMM) :
Je me rappelle qu'il y a longtemps, je vis arriver à ma consultation des diabétiques de l'IMM (« ils ne veulent plus de nous! »).
Je me rappelle qu'il fût un jour question de fermer la médecine interne de l'IMM. Je me rappelle qu'à l'IMM, les patients d'urologie étaient triés par téléphone par un « médecin régulateur ». Moyennant quoi, aujourd'hui l'IMM a une excellente réputation médicale (y compris en diabétologie).
Je me rappelle qu'en arrivant à Saint-Joseph, le nouveau directeur ferma d'autorité le service du SIDA (en oubliant de prévenir les patients) qui furent donc accueillis à l'hôpital public.
L'accouchement par voie basse n'est pas rentable. En conséquence les maternités privées ferment ou poussent les indications de césariennes.... Inversement l'hôpital public ne peut pas faire faillite et être vendu au privé, pour réaliser une opération immobilière et/ou rentrer dans le giron des chaines internationales de cliniques privées (je me rappelle de la crainte de FOCH d'être racheté par la Générale de Santé, elle même rachetée par Ramsay)
Ce n'est pas un hasard si l'éducation thérapeutique du patient est née, fondamentalement, et s'est développée à l'hôpital public, qui disposait d'un budget global, et pas dans les cliniques privées. Ce n'est pas la faute de leurs médecins, mais du système de financement.
Le Public poursuit une mission pérenne
L'hôpital public doit être efficient, non pas du point de vue de l'établissement, mais du point de vue de la société (et en l'occurrence de la Sécu). Le système actuel qui vise à la rentabilité de l'établissement, indépendamment de l'intérêt à long terme de la Sécu, est « normal » pour une clinique privée mais est profondément aberrant pour un hôpital public. « On ne m'a pas demandé de sauver la Sécu mais de redresser les comptes de mon établissement », me confiait un directeur d' ESPIC.
De ce point de vue la dernière loi de santé définissant le service public par ses missions globales et ses obligations et non par son statut, a ouvert la voie au changement progressif de statut de l'hôpital public, en commençant par les CHU (comme le proposait François Fillon). Certains directeurs de CHU et certains chirurgiens des hôpitaux publics y aspirent. Les premiers auraient plus de pouvoir et les seconds seraient mieux payés.
Retrouver la philosophie de la création des CHU
Enfin la grande réforme Debré de 1958, qui a créé les Centre Hospitaliers Universitaires, a vu ses défauts l'emporter sur ses qualités depuis la fin des années 1980, comme l'avait analysé quelques uns de ses fondateurs au colloque de Caen de 1996 (organisé par le doyen Gérard Levy) : coupure avec la ville, séparation souvent non justifiée entre PH et PU-PH, dévalorisation de la clinique et de l'enseignement au profit des publications scientifiques, moyens insuffisants de la recherche clinique, confusion et multiplication des tâches (soins, recherche, enseignement, gestion, santé publique) qui ne pouvaient plus être assurées par une personne, mais par des équipes.
Aujourd'hui dans un CHU il n'y a pas de raison qu'un chef de service soit automatiquement un PU-PH plutôt qu'un PH... A Nantes, le service d'endocrinologie a une PH comme chef de service et comporte 2 PU PH).
Bref, il ne faut pas chercher à rassembler « l'élite » autoproclamée, mais l'ensemble de la communauté médicale hospitalière. La nostalgie est mauvaise conseillère !
Mais, d’après André Grimaldi, l’urgence absolue paraît surtut d'en finir avec « l'hôpital-entreprise » mis en déficit par une progression de l'ONDAM inférieure à la progression programmée des charges !