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Procès des prothèses PIP : les leçons d'un scandale sanitaire

Par Mathias Germain

Le procès "pour tromperie aggravée" contre les dirigeants de la société PIP s'ouvre ce mercredi à Marseille . Plus de 5 100 femmes porteuses de prothèses défecteuses ont porté plainte. 

IBO/SIPA

La justice se penche ce mercredi sur le scandale des prothèses mammaires PIP défectueuses. Après les enquêtes administratives de la direction générale de la santé (DGS) et de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) rendues publiques en février 2012, c’est le procès pour « tromperie aggravée » qui doit s’ouvrir à 11 heures au Tribunal de Marseille. Le procès s’annonce mouvementé à cause de l’ampleur du scandale : entre 400 et 500 000 femmes à travers le monde portent ces prothèses potentiellement défectueuses, dont plus de 30 000 en France ! Mais aussi, en raison des critiques qui pleuvent déjà sur l’organisation du procès avant même son ouverture…


Premier motif
de mécontentement : la préparation du procès. Un avocat de la défense, Me Jean Boudot, a mis en cause « l’impartialité du tribunal », car, pour la préparation de l’audience, les magistrats ont réuni les avocats des parties civiles en l'absence de ceux de la défense et sans qu'un procès-verbal ne soit rédigé. En outre, l'assistance donnée aux plaignantes pour leur constitution de partie civile est aussi analysée comme une entorse à l'impartialité et à l'indépendance. Résultat : une requête en suspicion légitime visant au dessaisissement de la juridiction marseillaise a été déposée… La Cour de cassation doit se prononcer aujourd’hui même.

Deuxième motif de mécontentement : le « casting » judiciaire. Sur le bancs des prévenus : Jean-Claude Mas, le directeur fondateur de la société PIP (Poly Implant Prothèse), et quatre autres dirigeants de la société. Mais, la société PIP, pour cause de liquidation judiciaire, n’y figure pas. Cette absence empêche les victimes d'appeler en garantie les assureurs de l'entreprise.
Certaines associations de femmes victimes, comme le Mouvement de défense des femmes porteuses d’implants et de prothèses MDFPIP, regrettent aussi l’absence l'absence des chirurgiens qui « ont engagé leur responsabilité dans le choix de poser des prothèses PIP ».
Sur les bancs de la partie civile : les associations de femmes victimes. Plus de 5 100 femmes ont porté plainte. Mais, à leurs côtés se trouvent aussi l’ANSM et Tüv Rheinland. Une présence pas toujours bien acceptée. Certaines victimes, comme Murielle Ajello, la présidente du MDFPIP, se déclarent choquée d'avoir à partager le banc avec l'organe de certification qui a accordé le label CE sans lequel aucune prothèse PIP n'aurait pu être vendue… Une avocate, Me Christine Ravaz, défenseure de victimes varoises, demande ainsi l'irrecevabilité de Tüv  Rheinland tout comme celle de l’ANSM- ex-AFSSAPS – à qui elle reproche d’être passée à côté des premières défaillances des prothèses PIP en 1996 (soit un an après leur commercialisation) et en 2001, comme l’a montré l’enquête administrative.
Malgré cela, d’autres associations demandent avec force l’ouverture de ce procès, comme Alexandre Blachère, la présidente de l’association Porteuses de Prothèses PIP (PPP) qui regroupe plus de 2300 femmes. « Les victimes attendent d'être reconnues en tant que telles », a déclaré à plusieurs reprises Alexandra Blachère.

Dernière précision : le procès censé s’ouvrir aujourd’hui ne porte que sur une partie de l’affaire puisque les volets « blessures involontaires » et « délits financiers liés à la fraude sanitaire » sont encore à l'instruction au pôle Santé du tribunal de Marseille.

15 000 Françaises se sont fait retirer leurs implants. 

Derrière ces turbulences judiciaires, il ne faut pas oublier la souffrance des femmes victimes de ces prothèses défectueuses. Qu'elles souffrent de séquelles physiques ou psychologiques, qu'elles soient battantes ou anéanties, les victimes des prothèses PIP se disent « marquées à vie » par ce qui leur est arrivé.
En France, deux décès par cancer associés aux prothèses PIP ont été signalés. « Ce procès doit avoir lieu, les femmes touchées par cette fraude le réclament et l'attendent depuis 3 ans, estime Joëlle Manighetti, 55 ans, qui suite à une mammectomie en raison d’un cancer, a eu une prothèse PIP. Ce procès ne répondra pas totalement à nos attentes, mais c'est une première étape indispensable », écrit-elle sur son blog.

Depuis que l’affaire a éclaté en mars 2010, près de 15 000 femmes se sont fait retirer, « explanter », leur implants mammaires. Et selon le dernier bilan de l’ANSM , un quart de ces implants est défectueux. Dans son rapport, l'Ansm fait également le point sur les données toxicologiques, provenant du Royaume-Uni et d'Australie. Et l'Agence précise que ces données « sont concordantes » avec les données françaises, concluant à des taux de dysfonctionnement de prothèses plus élevé pour les implants PIP que pour les autres implants.
Quant aux femmes encore porteuses d'implants PIP, l'Agence insiste sur l'importance d’un suivi clinique et radiologique. Elle rappelle aussi qu'elles peuvent se faire explanter préventivement. Un message qui sera d’autant plus suivi que le 11 avril dernier, dans le cadre d'une autre procédure en cours d'instruction pour  «  blessures involontaires », la justice a ouvert la voie à l'indemnisation des 11000 femmes qui se sont fait retirer  leurs prothèses mammaires à titre préventif.

Premières réformes du dispositif de contrôle des dispositifs médicaux
Au-delà de l’aspect judiciaire, cet affaire a eu des conséquences sur le dispositif de contrôle sanitaire des dispositifs médicaux. Depuis 2012, un dispositif médical ne doit plus être implanté à un patient à l’hôpital si il n’a pas été évalué par la Haute autorité de santé (HAS). Auparavant, les hôpitaux pouvaient par exemple acheter des prothèses de hanche à l’industriel offrant les tarifs les plus avantageux sans que la HAS n’ait évalué ces prothèses par rapport aux autres existantes. Cependant, si les autorités sanitaires françaises affirment qu’elles ont déjà commencé à tirer les leçons de l’affaire PIP, les experts comme le Pr Jean-Michel Dubernard, en charge de ce dossier à la HAS estiment qu’il y a encore beaucoup d’efforts à faire pour renforcer la sécurité sans réduire à néant les possibilités d’innovation indispensables pour développer les dispositifs implantables de demain.