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Chronobiologie

Une horloge biologique centrale et des rythmes naturels pour chaque organe

Par Dr Philippe Montereau

Horloge biologique, chronobiologie, schéma de traitement métronomique... Les médecins s'intéressent depuis longtemps aux rythmes naturels du corps de leurs malades pour mieux adapter les traitements. Mais ils manquaient de repères. Une équipe de l’Inserm montre que le fonctionnement des organes du corps suit un rythme particulier au cours des 24 heures, rythme qui est également différent selon les organes. Un atlas est en préparation pour améliorer l’efficacité des traitements et réduire leurs effets indésirables.

SarkisSeysian/epictura

Une équipe de chercheurs de l'Inserm, dirigée par Howard Cooper (Unité Inserm 1208 « Institut cellule souche et cerveau »), a présenté des travaux qui montrent que les organes du corps ne fonctionnent pas de la même façon selon le moment de la journée et que ce rythme de fonctionnement est également différent selon les organes.
Ces résultats publiés dans la revue Science montrent à quel point il serait important de mieux tenir compte de l’horloge biologique de chaque organe, ceci afin d'administrer les médicaments au bon moment pour améliorer tant leur efficacité que leur tolérance.
Son équipe fournit également pour la première fois une cartographie précise de l’expression (l’activité) des gènes, organe par organe, et en fonction du moment de la journée. Une somme de travail, commencé il y a dix ans, et qui a nécessité deux ans d’analyse. Les chercheurs préparent désormais un atlas chronobiologique de l'activité des gènes qui sera disponible pour l'ensemble de la communauté scientifique.

Chaque organe a sa propre horloge biologique

Les gènes sont de petites séquences de code génétique sur les chromosomes, à l'intérieur des noyaux des cellules, et qui servent à coder pour fabriquer différentes protéines et molécules (exactement comme un programme informatique code pour réaliser une fonction). D'après ces travaux, il apparaît qu'environ deux tiers des gènes codant pour des protéines auraient une activité cyclique au cours des 24 heures, avec des pics d’activité en matinée et en début de soirée.
Cependant, cette activité des gènes varie beaucoup d’un organe à l’autre, confirmant que, en plus de l’horloge centrale interne, chaque organe a sa propre horloge. Une équipe Inserm le prouve pour la première fois chez un primate diurne, plus proche de l’homme que les insectes et les souris, et fournit une cartographie spatio-temporelle inédite de « l’expression circadienne des gènes » pour l’ensemble des organes. Ces travaux marquent une avancée majeure dans le domaine de la « chronobiologie ». 

Première étude chez les primates

Jusque-là, les études destinées à explorer le rythme circadien dans les différents organes étaient menées principalement sur des modèles d'insectes, comme la drosophile, et des espèces nocturnes de petits animaux, en particulier la souris.
L'horloge circadienne étant principalement synchronisée par le cycle de lumière jour-nuit, il aurait été tentant d’inverser le cycle des souris pour obtenir des données d'animaux diurnes. Mais les rongeurs ne sont pas seulement en décalage de phase par rapport à l'homme, ils ont aussi un mode de vie très différent : un sommeil fragmenté de jour comme de nuit, contre un sommeil plus consolidé pendant la nuit pour les mammifères diurnes comme l'homme, ou encore une alimentation permanente pendant la phase d’éveil nocturne alors que les hommes prennent des repas répartis de façon régulière. Autant de facteurs qui contribuent également à la synchronisation de l’horloge biologique.
Il était donc indispensable de travailler chez des espèces plus proches de l’homme. 

Une analyse sur 25 000 gènes de primates diurnes

Pour cela, les chercheurs ont analysé, chez des primates non humains, les ARNs (séquences en miroir des gènes qui servent à la fabrication des protéines) de plus de 25 000 gènes de 64 organes et tissus, toutes les deux heures et pendant vingt-quatre heures. Les organes principaux ont été passés au crible, ainsi que différentes régions du cerveau.
Au total, les chercheurs ont analysé 768 prélèvements. Un travail colossal commencé il y a dix ans et qui a nécessité deux ans d’analyse. Pour chacun de ces prélèvements réalisés dans différents organes et à différents moment du cycle nycthéméral, ils ont recherché, quantifié et identifié les ARN présents dans les cellules. Ces ARN deviennent ensuite des protéines ou restent à l’état d’ARN avec des propriétés régulatrices sur d’autres molécules. C'est ce qu'on appelle le "transcriptome". 

80 % des gènes réglés sur l'horloge biologique ont des fonctions essentielles

Première constatation importante, les chercheurs ont démontré que 80 % des gènes qui ont une activité cyclique codent pour des protéines responsables de fonctions essentielles dans les cellules, comme l’élimination des déchets, la réplication et la réparation de l’ADN, le métabolisme...
Mais il existe une très grande diversité des "transcriptomes", c’est-à-dire de l’ensemble des ARN présents dans les cellules des différents échantillons, au cours des 24 heures.

Deux pics d’activité dans la journée

Le nombre de gènes qui ont une activité cyclique varie également en nombre selon les organes (environ 3 000 dans la thyroïde ou le cortex préfrontal contre seulement 200 dans la moelle osseuse) et en type : moins de 1 % des gènes « rythmiques » dans un tissu le sont également dans les autres tissus.
Même les treize gènes connus de l’horloge biologique, que les auteurs s’attendaient à retrouver de façon cyclique dans tous les échantillons, n’y sont finalement pas tous présents : pas dans les mêmes quantités ou pas au même moment.
Les seuls points communs entre ces 64 tissus analysés pour les différents organes sont finalement les pics bien définis d’activité des gènes au cours de la journée : en fin de matinée et en début de soirée. Le premier, le plus important, survient entre 6 et 8 heures après le réveil avec plus de 11 000 gènes exprimés à ce moment-là dans l’organisme. Et le second, moins intense, voit environ 5 000 gènes en action dans les tissus. Puis, les cellules sont quasiment au repos au cours de la nuit, particulièrement lors de la première partie de la nuit.

De nombreuses implications pour le traitement

Ces résultats ont surpris les auteurs par l’ampleur de la rythmicité du fonctionnement des organes du primate non humain : les applications possibles sont très larges. 
« Deux tiers des gènes codants fortement rythmés, c’est beaucoup plus que ce à quoi nous nous attendions », explique Howard Cooper. « Mais surtout, 82 % d’entre eux codent des protéines ciblées par des médicaments ou sont des cibles thérapeutiques pour de futurs traitements ».
Cela prouve combien il est important de tenir compte de l’horloge biologique pour administrer les médicaments au bon moment de la journée afin d’améliorer l’efficacité et de réduire les effets indésirables.

Quelques équipes de recherche travaillent sur ces questions de « chronobiologie », notamment dans le domaine du cancer (par exemple les schémas de traitement « métronomique »), mais Howard Cooper veut aller beaucoup plus loin. C’est pourquoi son équipe met au point un véritable atlas, sous forme de base de données consultable, pour permettre aux scientifiques du monde entier de connaître enfin le profil d’expression de chaque gène dans les différents organes du corps au cours de 24 heures.