« A 56 ans, à la suite d’un dosage PSA, légèrement au dessus de la moyenne, on m’a fait subir 12 biopsies au niveau de la prostate. Résultat, 1 prélèvement sur 12 révèle que j’ai un cancer », raconte Jacob, 62 ans. Comme lui chaque année, 62.500 hommes suivent un traitement par chirurgie, chimiothérapie et/ou radiothérapie d’après l’Assurance maladie. « Sans pincette, poursuit ce patient, le médecin m’annonce qu’il est situé au niveau des nerfs qui permettent l’érection et que je garderai des séquelles. Après la consultation, je suis resté 1h tétanisé dans ma voiture, sans bouger, et à partir de là, ma vie a été bouleversée ».
Le cancer de la prostate est le cancer le plus fréquent chez l’homme de 50 ans, avec 71 200 nouveaux cas en 2011 et 8700 décès par an. Pourtant, certains spécialistes et plusieurs études montrent (1) que l’on traite actuellement trop de patients qui n’auraient pas besoin de l’être. « Entre 30% à 50% des cancers de la prostate qui sont diagnostiqués ont des critères de gravité qui justifieraient une simple surveillance », résume le Pr François Desgrandchamps, chef du service d'urologie à l'hôpital Saint-Louis (Paris). Une attitude qui serait lourde de conséquences puisque les traitements ont un impact fort sur la qualité de vie de ces hommes. Environ 10% des patients gardent des séquelles urinaires après une chirurgie. Leur sexualité est également profondément bouleversée: après chirurgie de la prostate, un tiers des hommes serait impuissant et 60 à 80 % le serait après les rayons.
Ecoutez le Pr François Desgrandchamps, chef du service d'urologie à l'hôpital Saint-Louis (Paris) : « il faut préserver ces patients de ces traitements excessifs.»
Le dépistage. Contrairement aux recommandations pour les cancers du sein et du côlon, le dépistage systématique de celui de la prostate, par dosage de l'antigène spécifique prostatique (PSA) et/ou un toucher rectal, n’est pas officiellement organisé. Pourtant, dans les faits, il existe. Celui-ci suscite depuis plusieurs années de nombreuses polémiques. La Haute Autorité de Santé ne le recommande pas, les urologues le préconisent, et au milieu, certains généralistes ne savent pas toujours, quelle position adopter. C’est pour cette raison que la Revue du Praticien, un mensuel pour les généralistes, a confié à une quinzaine de médecins spécialistes, le soin de réaliser une mise au point complète sur la prise en charge du cancer de la prostate qui vient de paraître.
Ecoutez le Dr Amaury De Gouvello, généraliste : « On est tiraillé entre la HAS et les urologues. D’un côté, on a peur de passer à côté d’un cancer très avancé et de l’autre, il y a tous ses PSA qu’il faut interpréter. Ca nous aiderait qu’ils accordent leurs violons. »
Les biopsies. A la suite des tests PSA, chaque année 91.600 hommes pratiquent des biopsies à la recherche d’un cancer de la prostate, avec de fortes probabilités d’en trouver un. En effet, c’est une maladie très fréquente, les études montrent qu’à 80 ans, presque 80% des hommes ont des cellules cancéreuses dans leur prostate. Pour la plupart des hommes atteints, ce cancer n’entraîne pas de signes cliniques ou de symptômes au cours de leur vie. Et pourtant, nombre d’entre eux font l’objet d’un traitement lourd aux répercussions importantes dans leur vie quotidienne.
Pourquoi traite t-on trop de patients ?
Les raisons du surtraitement en France seraient multifactorielles. « Quelques médecins pensent encore que le cancer de la prostate est forcément un cancer agressif », explique le Pr Michael Peyromaure, du service d'urologie de l'hôpital Cochin. Et puis, il y a une pression des chiffres. Le fait de faire beaucoup d’actes opératoires fait monter dans les classements, augmente le prestige d’un établissement, crée de la notoriété pour l’urologue et même pour quelques uns du privé. Pas pour tous bien sûr, mais cela augmente aussi tout simplement leurs revenus », ajoute le spécialiste.
Ecoutez le Pr François Desgrandchamps : « Devant le mot cancer, certains médecins peuvent avoir la même frayeur que les patients. Et puis, il y a certains patients qui ont peur, qui réclament qu’on les opère. »
Quels sont les patients qu’il ne faut pas traiter ?
Les spécialistes qui dénoncent le surtraitement estiment qu’il est temps que médecins et patients aient une information claire.
« Dans le cancer de la prostate, il y a au moins deux grands types de cancer, des dangereux et d’autres à évolution très lente, commente le Pr François Desgrandchamps. Ces derniers ont des critères précis. Ce sont des cancers avec des PSA en dessous de 10. Un score de Gleason inférieur ou égal à 6. Le score de Gleason évalue l’aspect du cancer au microscope, et si le cancer est agressif, ce score est plus élevé, au-dessus de 7. »
De plus, lorsque le nombre de biopsies cancéreuses est faible, cela traduit un faible volume tumoral et donc un risque moindre. Les patients présentant ces critères, pourraient donc avoir comme option de traitement, une simple surveillance régulière. Plusieurs études montrent par ailleurs, que chez les patients surveillés au long cours, au final, environ un tiers d’entre eux seulement, ont besoin d’un traitement.
En quoi consiste cette surveillance active ?
Pour les cancers à évolution lente, l’idée de proposer plus largement une surveillance active séduit de plus en plus de professionnels de santé. Elle consiste à se dire que l’on va laisser le patient tranquille, c’est à dire ne pas l’opérer dans l’immédiat, et que l’on agira si le cancer se met à évoluer. « La surveillance active a des nombreux bénéfices, mais chez les patients jeunes et anxieux, dans mon expérience, cela peut générer parfois de l’angoisse. Certains finissent par consulter un autre urologue et par se faire opérer quand même, » ajoute le Pr Michael Peyromaure.
Ecoutez le Pr François Desgrandchamps : « Quand le cancer est éligible à une surveillance, on fait des PSA tous les 3 mois la 1ère année, ainsi qu’une biopsie de contrôle à un an. »
Il semble malgré tout que le surtraitement du cancer de la prostate soit déjà en voie de diminution. Ces dernières années, le nombre de prostatectomies radicales serait passé de 26500 en 2007 à 22 000 en 2010. Alors qu’il y a 10 ans, peu d’urologues proposaient cette surveillance active, aujourd’hui, l’Association Française d’Urologie (AFU), qui a souvent été pointée du doigt dans ce domaine, notamment pour sa position en faveur du dépistage individuel annuel entre 50 et 75 ans, se positionne elle aussi en faveur de cette alternative. « En 2007, après un PSA à 8 et une biopsie de la prostate, j’apprends que j’ai un cancer, raconte Francis, 71 ans. On me dit que c’est un cancer peu dangereux et que si je veux, on peut simplement le surveiller pour le moment. Pour moi « cancer » ça voulait dire « opération », mais j’ai fait confiance à mon médecin. Aujourd’hui tout va bien, je n’ai pas l’impression d’être malade. Je ne regrette pas d'avoir suivi le conseil de ce chirurgien qui m’a proposé de ne justement pas m’opérer, »
Ecoutez le Dr Patrick Coloby, président de l' l’Association Française d’Urologie : « Une valeur seuil de PSA ne doit pas déclencher des biopsies. Ca a peut-être été l’attitude à un moment donné. »
(1)
- Active Surveillance for Low-Risk Prostate Cancer Worldwide: The PRIAS Study
- Screening for Prostate Cancer: U.S. Preventive Services Task Force Recommendation Statement