« Quand nous observons des animaux chercher de la nourriture dans la nature, nous devons maintenant nous demander s’ils se rendent à l’épicerie ou à la pharmacie. » Pour Mark Hunter, chercheur du département d’Ecologie et biologie de l’Evolution de l’Université du Michigan, l’automédication est un comportement beaucoup plus répandu qu’on ne le pense chez les animaux.
Dans un article publié récemment par la prestigieuse revue Science, Mark Hunter et ses collègues rappellent, exemples à l’appui, que les animaux sont nombreux à puiser dans les réserves de la nature pour retrouver ou préserver leur santé, même s’ils ne sont pas dotés de grandes capacités cognitives.
Par exemple, les fourmis forestières protègent leur nid des moisissures en y installant des morceaux de résine de conifère, connue pour ses vertus antimicrobiennes. En Amazonie, les perroquets ingurgitent de la terre riche en argile pour compenser la toxicité de certains composés contenus dans les végétaux tropicaux qu’ils mangent. Lorsque les papillons monarques sont infestés par des parasites, ils déposent leurs œufs sur des plants d’asclépiade. Le latex de cette plante, qui d’habitude est toxique pour le papillon, va protéger ses œufs de l’infestation parasitaire.
Ecoutez Erik Gustafsson, éthologue à l’Université de Saint-Etienne, auteur d’une thèse sur l’automédication chez les grands singes : « Un chien qui se purge en mangeant de l’herbe, c’est de l’automédication, consciente ou non. »
Chez les primates, des comportements encore plus proches de notre médecine ont été observés. A la saison des pluies, certains chimpanzés se mettent à avaler tout rond et à jeun des feuilles rugueuses soigneusement choisies et hérissées de petits poils qui ne font pas partie de leur régime alimentaire habituel. Six à huit heures après, les feuilles sont retrouvées intactes dans les fèces et elles ont attrapé comme du velcro les vers intestinaux qui parasitaient les singes. Cette vermifugation naturelle fut l’une des premières observations d’automédication chez l’animal en 1977.
Chez les lémuriens de Madagascar, c’est une forme de pansement à base de feuilles végétales mâchouillées qui est appliqué sur les plaies pour ses vertus antiseptiques et cicatrisantes. Vous misez sur la citronnelle pour éloigner les moustiques ? Le singe capucin du Costa Rica aussi, il se frotte le pelage avec des écorces d’agrumes pour se protéger des moustiques, poux et tiques.
Certains spécialistes restent très sceptiques sur ces observations d’automédication, qualifiées d’interprétations anthropomorphiques réductrices. Il n’y a effectivement pas de démonstration scientifique possible, il faudrait pour cela induire expérimentalement une maladie chez des grands singes, derniers représentants d’espèces protégés.
Ecoutez Erik Gustafsson : « Il faut se contenter de corrélations à partir d’observations des individus visiblement malades ».
Qu’il s’agisse ou non de véritables pratiques d’automédication, il apparaît que les plantes consommées par les singes sont souvent les mêmes que celles utilisées par les guérisseurs traditionnels des populations locales. Cette connaissance animale des plantes médicinales, la zoopharmacognosie, est devenue un objet de recherche. Il s’agit d’identifier et d’analyser en laboratoire les végétaux utilisés par les animaux afin de mettre au point de nouveaux médicaments. L'observation des chimpanzés en Ouganda a par exemple permis de découvrir des substances actives contre le paludisme ou les parasites intestinaux. Mais pour que notre armoire à pharmacie puise demain dans la pharmacopée des grands singes, encore faudrait-il que nous n’ayons pas complètement saccagé leur habitat naturel...