Dernier rebondissement dans l’affaire du Levothyrox : le procureur de la République de Marseille vient d’annoncer l'ouverture d'une information judiciaire « contre X » pour « tromperie aggravée, blessure involontaire et mise en danger d'autrui ». Une procédure pénale saluée par les personnes qui se considèrent victimes d'une expérimentation hasardeuse. "Un pas de géant" selon Maître Bertella-Geffroy sur BFMTV.
Cette procédure a été confiée à un juge d'instruction du pôle de santé publique du Tribunal de Grande Instance de Marseille, dont la compétence s'étend jusqu'à Lyon, où se trouve le siège du laboratoire Merck qui produit ce médicament destiné aux malades dont la thyroïde ne marche plus. Ces insuffisants thyroïdiens ont besoin de prendre tous les jours la dose nécessaire d'hormone thyroïdienne en substitution.
Nombreuses procédures judiciaires
Alors que plusieurs procédures en référé pour demander le retour de l’ancienne formule ont été déboutées, ici ou là, en raison de l’importation d’Allemagne par Merck de 400 000 boites de l’ancienne formule, d’autres procédures judiciaires « sur le fond » sont en cours.
Il en est ainsi d’une action collective pour « défaut d’information » et « préjudice d’angoisse » qui est menée elle à Lyon. Récemment, une plainte collective auprès du tribunal de grande instance de Paris (TGI), saisi en référé, a été renvoyée au TGI de Lyon. On voit que les autorités judiciaires essayent de mettre un peu d'ordre en regroupant toutes les affaires sous la compétence d'un seul tribunal et d'une même équipe de juges, ce qui est logique.
Une affaire bien mystérieuse pour les médecins
L’affaire du Levothyrox a commencé après le changement de formule, en juillet dernier, périodes où des milliers de malades ont commencé à se plaindre en commun d'effets secondaires indésirables. Au total, plus de 17 000 cas ont été rapportés à l’ANSM sur 2,3 millions de malades traités en France.
Le lien avec le changement de formule a été évoqué et une vaste enquête administrative a été lancée alors que les pharmacologues sont bien en peine d’expliquer une telle crise, crise qui n'est pas si surprenante en type au vu de ce qui s’est passé dans les autres pays, quand un changement de même nature a été fait (Israël).
La surprise ne vient pas du type d'effets indésirables, qui peuvent s'assimiler aux troubles que l'on voit quand la dose n'est pas bonne pour le malade. La surprise vient du nombre, beaucoup plus élevé en France que dans les autres pays où le même changement de formule a été mis en place.
Du mannitol et de l’acide citrique à la place du lactose
Ce changement de formule a consisté à remplacer le lactose, qui enrobait l'hormone thyroïdienne, la lévothyroxine, pour en faire un comprimé, par du mannitol. Il avait été demandé par l’Agence de médicament, l’ANSM, afin de garantir la stabilité du produit dans le temps, ce qui n'était pas le cas.
Dès l'été, les malades se sont manifestés : 5062 effets indésirables ont été classés comme graves et 14 décès ont été recensés par l'ANSM, sans qu’un lien direct avec la nouvelle formule puisse être formellement établi.
Selon une enquête de pharmacovigilance, les effets indésirables rapportés avec la nouvelle formule sont similaires en type et en gravité à ceux de l’ancienne formule, mais ils sont plus fréquents (0,75% des malades).
La nouvelle formule a-t-elle pu « empoisonner » les malades ?
Il faut attendre les analyses toxicologiques diligentées par l'ANSM et la Justice, dont nous n'avons pas encore les résultats, mais sauf erreur du laboratoire Merck, cela paraît peu probable. Le mannitol et l’acide citrique qui ont remplacé le lactose ne peuvent entraîner les manifestations décrites.
On les retrouve à des doses nettement plus élevées dans de nombreux aliments, notamment les bonbons et chewing-gums sans sucre, sous les noms de code E421 et E330, ainsi que dans de très nombreux autres médicaments sans qu’aucun effet indésirable n’ait été rapporté.
Ces mêmes nouveaux comprimés de Levothyrox sont largement utilisés dans d’autres pays sans que des troubles qui semblent surtout en rapport avec un déséquilibre hormonal n’aient été notifiés en aussi grand nombre.
Quelles sont les objectifs des malades lors du jugement sur le fond ?
Tous les malades ne poursuivent pas forcément le même objectif : certains veulent juste que l'on continue à fabriquer l'ancienne formule, même si la science dit que ce n'est pas le produit idéal. D'autres malades sont dans une démarche plus "revendicatrice".
Pour ceux qui veulent la reconnaissance d'un "pretium doloris" et une compensation financière, il y a toujours un aléas judiciaire. On voit bien que plusieurs stratégies apparaissent selon les avocats : certains attaquent pour « tromperie », voire « mise en danger de la vie d’autrui », ce qui sauf erreur du laboratoire est périlleux, d’autres pour « défaut d’information », ce qui semble plus prometteur.
Il y a par ailleurs plusieurs juridictions possibles. Attaquer au pénal, est simple à mettre en place et il y a un bon écho dans les médias. Mais au final, les malades perdent le contrôle de la procédure au profit d’un juge d’instruction.
Les démarches peuvent être entreprises au civil : c’est plus complexe pour l’avocat qui doit présenter une démonstration argumentée en fait et en droit, mais les malades restent maîtres de la procédure et la justice civile est théoriquement plus rapide.
Une troisième possibilité est celle des juridictions administratives, qui ne concerne alors plus le laboratoire Merck, mais l’ANSM et l’Etat pour incompétence ou complicité
Une reconnaissance de la souffrance des malades
Au final, beaucoup de malades veulent également que l'on reconnaissent leur souffrance. Dans un interview sur BFMTV, Maître Marie-Odile Bertella-Geffroy, qui représente 1 100 personnes qui se disent victimes de la nouvelle formule de Levothyrox, salue la décision et considère que cette procédure ouvre la porte à des demandes d'actes et à des expertises médicales. Une procédure que ses clients qui se considèrent "comme des cobayes" attendaient avec impatience.
Sauf anomalie avérée par les analyses toxicologiques en cours, les malades n'ont certainement pas été "considérés comme de cobayes" puisque le changement de formule avait déjà été réalisé dans plusieurs pays. Par contre, il y a certainement un "défaut d'information" initial, tant des malades que des médecins.