Neuf experts dénoncent les affirmations d’Emmanuel Macron et répètent que le vin est un alcool… comme les autres. Le président avait sans doute comme motivation de calmer la vague d’indignation professionnelle suscitée par les propos, justifiés, d’Agnès Buzyn, ministre de la santé responsable et surtout professeur de médecine, qui connaît bien les ravages de l’alcool dans notre pays.
Neuf médecins répliquent à Macron : "Vu du foie, le vin est bien de l’alcool" https://t.co/PuaoTJ1cNf
— Hercberg Serge (@HercbergS) March 5, 2018
Elle devra apprendre, qu’au moment du salon de l’agriculture, la consommation de vin redevient un sport national honorable, et dire que c’est un alcool comme les autres, une affirmation indigne… Pourtant :
Le vin est un alcool
Un verre de vin contient autant d’alcool qu’un demi de bière ou une dose commerciale de whisky. Aucun doute là-dessus.
C’est la quantité d’alcool consommée qui définit l’alcoolisme… pas la qualité de l’alcool. Et du côté vin, les français sont plutôt champions du monde.
L’alcool est un fléau mondial
Zéro pointé pour l’alcool : selon l’OMS, toutes les 10 secondes, dans le monde, une personne meurt à cause de l’alcool. Une autre étude, publiée par l’OMS, montre que les bienfaits du vin rouge pour le cœur ne seraient qu’un mythe !
Trois millions de morts, voilà ce qu’a fait l’alcool en une seule année, 2012. Trois millions, c’est plus que le sida, la tuberculose et la violence réunis.
D'après le rapport de l’OMS, les plus gros consommateurs d'alcool sont la Russie (mais cette dernière aurait amélioré ses scores), les pays d'Europe de l'Est, le Portugal, suivis de la majorité des pays de l'Union européenne.
On se rend compte aujourd’hui que plus de 200 maladies sont liées à l’alcool : cardiovasculaires, infections, cancers, etc…, mais aussi accidents de la circulation et homicides : globalement, 7 % des hommes et 4 % des femmes décèdent d’une cause liée à l’alcool.
Une bonne nouvelle toutefois, tout le monde ne boit pas de l’alcool : 60 % de la population mondiale n’en boit pas du tout.
L’alcool est dangereux
L’alcool n’est pas un stimulant, mais il ralentit au contraire l’activité du cerveau. C’est même pour cela qu’il provoque des accidents de voiture. La gaieté et l’excitation qui suivent l’absorption d’alcool sont donc des leurres. De la même façon, il faut se méfier des apéritifs qui traînent, ou des “pots” au bureau. Boire sans manger rend ivre beaucoup plus vite.
Également, boire pour se réchauffer est une hérésie. On ressent certes une impression de chaleur car l’alcool provoque une augmentation du rythme cardiaque et de la tension artérielle. Malheureusement, cette réaction abaisse la température du corps.
En fait, une personne alcoolisée résiste moins longtemps au froid... Et si vous réfléchissez un peu, vous comprendrez pourquoi le Saint-Bernard avec son petit tonneau de rhum sous le collier avait le même effet pour les disparus dans la neige qu’une rafale de mitraillette. Les légendes ont la vie dure... Tout comme celle qui prétend que l’alcool conserve.
Pour en revenir au rôle soi-disant protecteur de l’alcool, ce sont des études américaines qui ont montré que le risque d’infarctus, par exemple, est moins élevé chez ceux qui consomment un peu d’alcool chaque jour que chez les adeptes de la sobriété. Toutefois, d’abord, il ne s’agit que d’une faible diminution observée dans une étude épidémiologique incapable d'établir un lien de cause à effet, ensuite le risque de dérapage, donc d’alcoolisme, semble plus important que la protection.
Quand maman boit… bébé trinque
Il n’y a plus de doute : l’alcool est toxique chez la femme enceinte, pour elle bien sûr, mais surtout pour l’embryon ou le fœtus qu’elle porte en elle.
En effet, l’alcool traverse le placenta, qui est pourtant un véritable filtre, et peut alors se transformer en un redoutable poison pour les cellules nerveuses du bébé. Ces notions sont essentielles et devraient être connues ou communiquées à toutes les femmes enceintes ou susceptibles de l’être.
Bien sûr, tout le monde sait que des boissons alcoolisées consommées régulièrement et à forte dose ont des conséquences graves sur le développement, la morphologie et les capacités intellectuelles de l’enfant quand il est encore dans le ventre de sa maman. Des anomalies importantes et irréversibles : l’enfant présentera un retard de croissance et des malformations plus ou moins marquées du visage et du cœur, des yeux ou de l’appareil osseux. Parmi ces lésions, le retard mental et les troubles du comportement sont quasi systématiques. Bref, quand maman boit beaucoup, bébé trinque autant et devient un véritable handicapé.
En fait, le véritable alcoolisme féminin est devenu l’exception et appartient à un passé que l’on peut penser révolu. Mais les gynécologues se trouvent confrontés à une grande majorité de femmes enceintes qui consomment les boissons alcoolisées en petite quantité, et de manière occasionnelle, pour le plaisir et la convivialité.
Or, tous les spécialistes sont d’accord sur un point : il n’a jamais été démontré qu’un ou 2 verres d’alcool n’avaient pas d’effet nocif sur le bébé. C’est ce message que tous les spécialistes voudraient que les femmes entendent, mais bien avant qu’elles soient enceintes.
Ainsi appliqueraient-elles ce souverain principe de précaution qui vaut si bien en médecine. Et cela éviterait à certaines d’entre elles d’être terrorisées au souvenir de la coupe de champagne qu’elles ont avalée quelque temps auparavant alors qu’elles n’avaient aucune notion du risque qu’elles faisaient courir à leur bébé. Bien évidemment, ce principe s’applique aussi aux alcoolisations aiguës, en un mot, à la cuite.
La conclusion est simple : par précaution, mieux vaut s’abstenir. Quand on est enceinte, zéro alcool.
L’alcoolisme aigu n’est pas anodin
Les jeunes adultes français boivent de façon moins régulière que leurs aînés, mais une activité ne ralentit pas sa popularité : celle de la cuite occasionnelle, paraît-il encore plus fréquente qu’autrefois, et surtout beaucoup plus violente.
Un alcoolisme aigu inquiétant dont il faut méditer les différentes étapes.
Avec un taux d’alcool compris entre 1 à 2 grammes par litre de sang, l’ivresse commence par une phase d’excitation simple et plutôt agréable. Le jeune découvre la désinhibition, une altération de l'attention, du jugement, du temps de réaction, du sens critique, de la mémoire et de l'adaptation au réel.
C’est le moment des paris stupides, de l’euphorie, de l’envie de raconter sa vie à tout le monde… et de continuer à boire.
Le passage très rapide de la tristesse à l'agressivité fait craindre la phase d'incoordination et d'instabilité, où l'alcoolémie est entre 2 et 3 grammes. Si l’on constate une somnolence, un regard vague, une absence de coordination des mouvements, en particulier une impossibilité de rester debout ou de marcher et une insensibilité à la douleur, il faut craindre le coma éthylique qui survient lorsque le taux dépasse 3 grammes. C’est ce que le langage populaire appelle être "ivre mort" : le pronostic vital est engagé – plusieurs dizaines de jeunes décèdent chaque année – et dépend de la qualité des soins.
D'autres profils d'alcoolisme
Il existe aussi des formes d’ivresse particulières : avoir le vin mauvais est un état de fureur paroxystique avec des violences physiques incontrôlables. Ou encore l’ivresse hallucinatoire, une distorsion cauchemardesque de la réalité avec des hallucinations visuelles et auditives, d’où il est parfois difficile de sortir.
Ces cuites, plus le buveur est jeune, plus il fait froid ou chaud, peuvent entraîner d’autres complications graves, comme une destruction aiguë du foie, en particulier si d’autres toxiques sont associés.
Ou encore, dans un coma profond, en restant allongé sur le sol, il y a un encrassement des muscles qui sont irrémédiablement détruits. On peut aussi évoquer le compression des vaisseaux et des nerfs, donc des séquelles définitives, sans oublier l’entrée dans une maladie psychiatrique grave.
Certes, ce tableau noir n’est pas fréquent, mais encore faut-il en soupçonner l’existence, ce qui n’est pas la règle dans notre pays, bien au contraire.
*Les signataires de la tribune
Pr Michel Reynaud, président du Fonds Actions Addictions, le président et le vice-président de l'Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA),
Dr Irène Frachon, pneumologue
Pr Catherine Hill, épidémiologiste
Pr Serge Hercberg, expert en nutrition
Pr Amine Benyamina, addictologue
Pr Albert Hirsch, Ligue contre le cancer
Pr Gérard Dubois, Académie de médecine
Dr Nicolas Simon, addictologue
Dr Bernard Basset, addictologue