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L’Hôpital va mal

Lettre ouverte de professeurs de médecine à Martin Hirsch, patron des hôpitaux parisiens

Par le Dr Jean-François Lemoine

Il ne se passe pas de jour sans qu’un accident, un scandale, ne vienne entacher le travail immense des hôpitaux. Naguère on peut mourir d’une otite dans un service d’urgence ou de froid dans un service de soins palliatifs. Tous les médias sont inondés d’articles alarmants sur l’état de nos hôpitaux, d’appels individuels désespérés, mais aussi organisés, de ceux qui dirigent les services hospitaliers. Probablement justifiés, puisqu’une des leurs, récemment nommée ministre de la Santé, confessait qu’elle aurait probablement signé un de leurs appels de protestation, quelques semaines plus tôt avant de devenir ministre (Appel des 1 000)…

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Pourtant, la plupart des solutions sont connues. Souvent douloureuses, et demandant beaucoup de courage, donc d’impopularité, de la part de celui qui prendra la décision ; ce qui, probablement, interdit leur mise en œuvre.

Nouveau témoignage de la colère naissante, mais encore contenue, cette lettre ouverte. Elle est envoyée à Martin Hirsch par un ensemble de « patrons » des hôpitaux*.

Elle reste ouverte à la signature  de tous les médecins concernés qui le désirent et vos commentaires sont les bienvenus.

Rappelons que Martin Hirsch est un personnage singulier qui, jusqu’à maintenant, s’était surtout fait remarquer par son itinéraire atypique, plutôt générateur d’enthousiasme : après s’être fait connaître à la présidence – très exposée – d’Emmaüs, ce haut fonctionnaire s’était illustré en refusant à Nicolas Sarkozy de devenir ministre pour rester libre, et accepter de devenir « Haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté », en contrepartie de la création du célèbre RSA, le Revenu de Solidarité Active, puis « Haut commissaire à la jeunesse » ; on lui doit le plan jeunes de 2019.  

Sa nomination à la direction générale de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris, l’APHP, avait été saluée avec beaucoup d’espoir par la plupart des signataires de la lettre ouverte d’aujourd’hui. Elle est à l’initiative d’un groupe de médecins, rassemblés par le Professeur Grimaldi, grand spécialiste du diabète, professeur émérite des hôpitaux, désormais agitateur d’idées reconnu et craint. Sans doute pas assez ! Quoique…

Il faut désormais attendre la réaction du directeur, en pensant que cet alpiniste de talent, qui a comme terrain de jeux l’escalade des aiguilles chamoniardes, n’est sûrement pas grisé par ses hautes fonctions, et ne restera pas sans réagir. 

Cher Martin Hirsch,

Nous nous adressons non seulement au directeur général de l’Assistance Publique - Hôpitaux de Paris, mais à la personnalité politique connue pour son engagement en faveur des pauvres et des exclus, à vous qui savez que le service public est la richesse de ceux qui n’en ont pas. Les inégalités sont devenues telles dans notre pays qu’ « on n’a jamais vu tant d’argent rouler pour la rente et pour le luxe, et l’argent se refuser à ce point au travail et à la pauvreté » (Charles Péguy), tant d’argent rouler pour les profits du CAC 40, et l’argent se refuser à ce point aux hôpitaux et aux EHPAD.

Puisse le directeur général de l’APHP  ne pas oublier la cause défendue par l’homme politique engagé. Le déficit de l’APHP, comme celui de la majorité des hôpitaux de France, n’est pas dû à l’incompétence des directeurs, à l’irresponsabilité des médecins, à la paresse des personnels, aux abus des patients, tous arc-boutés sur leurs « privilèges ». Il est voulu et programmé par la puissance publique qui, d’une main, diminue d’année en année les tarifs (T2A) et les dotations (recherche, enseignement, centres de référence, précarité) tandis que de l’autre, elle accepte, quand elle ne décide pas elle-même, l’augmentation des charges (prix des médicaments et des dispositifs médicaux, coût des équipements, remboursement des emprunts, partenariats public-privé, inflation des règles administratives auxquels il faut ajouter les mises aux normes et l’entretien des bâtiments, les revalorisations catégorielles… que l’hôpital se doit de financer).

Les mesures proposées ne régleront pas les problèmes structurels mais feront payer un peu plus les patients et les professionnels : augmentation de la facturation des chambres individuelles, non remplacement des congés, diminution du nombre de médecins et d’infirmières… et avec cela, espoir d’augmenter l’activité. Quant à la qualité des soins, votre priorité, votre « fil rouge » dites-vous dans votre livre sur l’hôpital, à défaut de l’améliorer, on la mesurera grâce à la multiplication d’indicateurs. Et si on adopte avec 15 ans de retard sur les Anglais et les Américains, le « pay for performance » (P4P), au moment où ses promoteurs constatent son inefficacité, on devra apprendre à soigner les indicateurs plutôt que les malades. On ne sort pas de la dictature du chiffre et de l’exigence du « toujours-plus ». 

Cher Martin Hirsch, nous attendons de vous une parole forte et une décision courageuse. Ne devriez-vous pas vous faire le porte-parole de la communauté des professionnels de l’APHP plutôt que le relais de la vieille politique de l’hôpital entreprise dont la ministre a promis la fin ?

N’est-ce pas pour vous l’occasion de proposer de mettre en œuvre sans attendre l’application de la nouvelle politique annoncée et d’entraîner avec vous toute l’APHP ?

Sur les 200 millions de déficit de l’APHP, plus de 100 millions sont dus à des factures non recouvrées dont une bonne part non recouvrables. Cette part doit être payée par l’Etat, à moins que désormais, on veuille que les hôpitaux remplacent la carte vitale par la carte visa. Faut-il arrêter de soigner les exclus ?

Vous avez la légitimité pour poser la question.

Les responsables politiques et managériaux reconnaissent aujourd’hui ce qu’ils niaient hier, à savoir le caractère inflationniste et la rigidité de la T2A, frein à la modernisation des prises en charge et en particulier à la bascule ambulatoire de la médecine. L’APHP doit se porter volontaire pour la mise en place, dès janvier 2019, de la dotation annuelle, inclusive, modulée pour la prise en charge des maladies chroniques, premier pas pour des dotations mutualisées avec les équipes de soins de ville. Le suivi des patients atteints de maladies chroniques bénéficierait grandement de la délégation de tâches médicales à des infirmières cliniciennes.

Ce financement à la dotation annuelle serait l’occasion pour l’APHP et pour les facultés de médecine de mettre en œuvre une politique volontariste pour promouvoir la pertinence des soins, à l’inverse de la logique prescriptive inhérente au tout paiement à l’acte en ville et au tout-T2A à l’hôpital.

Il n’est pas de grande réforme structurelle sans investissements non seulement en locaux et en équipements techniques, mais d’abord en moyens humains. Pour organiser une politique territoriale de santé sur la base de la graduation des soins et de la suppression de doublons, pour regrouper des services et des hôpitaux au sein de structures modernes, pour développer l’aval des urgences et l’aval des soins aigus, pour aider au développement de centres de santé et de maisons médicales pluri-professionnelles de premier recours travaillant avec les hôpitaux,  il faut allouer les moyens d’investissements et autoriser des prêts à taux zéro. On le fait pour les banques, pourquoi ne peut-on pas le faire pour les hôpitaux et pour les structures de soins en ville ? N’est-il pas temps pour les directeurs d’hôpitaux, d’EHPAD, des centres de santé et pour les responsables de la fédération des maisons de santé de poser cette question ?

Enfin, Martin Hirsch, pour rendre crédible la nouvelle politique fondée sur l’application du juste soin pour le patient au moindre coût pour la collectivité, il vous appartient de prendre une décision courageuse : la fermeture de l’Hôtel-Dieu de Paris dont le maintien au sein de l’APHP n’a plus de justification. Au-delà du symbole, cet hôpital n’est plus qu’une juxtaposition d’activités assez facilement localisables sur d’autres sites. Sa non fermeture n’est qu’une fiction politique coûteuse. Certes, le précédent président vous en avait donné mandat lors de votre nomination à la tête de l’APHP. Mais l’APHP n’a plus les moyens d’assurer la survie de ce bâtiment vidé de ses malades tandis que les Parisiens assistent au lent délabrement de ce patrimoine historique. Si l’Hôtel-Dieu doit renaître, ce sera sur un projet extérieur à l’APHP. En attendant, ce n’est pas au personnel de l’APHP de faire les frais de l’aboulie politique.

Tout cela est une urgence pour la santé financière de notre institution, mais d’abord pour la santé des personnels soignants, condition pour le maintien d’une offre de soins de qualité pour tous. Vous vous êtes justement engagé pour améliorer la qualité de vie au travail. La perte de sens quand les objectifs de performance passent avant la finalité du soin, la révision des conditions de travail rendant plus difficile ou empêchant le travail d’équipe, l’absence de reconnaissance des efforts consentis, aggravent la souffrance au travail.

Cher Martin Hirsch , vous comprendrez l’espoir que nous mettons en votre pouvoir d’intervention politique et vous excuserez la liberté de notre interpellation. Croyez à nos sentiments respectueux et à notre dévouement au service public hospitalier au service du public.

*Les signataires

Jean-François Bergmann, professeur de thérapeutique, CHU Lariboisière

Jacques Boddaert, professeur de gériatrie, CHU Pitié-Salpêtrière

Philippe Chanson, professeur d’endocrinologie, chef de service, CHU Bicêtre

André Grimaldi, professeur émérite de diabétologie, CHU Pitié-Salpêtrière

Philippe Grimbert, professeur de néphrologie, chef de service, CHU Henri-Mondor

Etienne Larger, professeur d’endocrinologie, CHU Cochin

Véronique Leblond, professeur d’hématologie, chef de pôle, CHU Pitié-Salpêtrière

Catherine Lubetzki, professeur de neurologie, chef de département, CHU Pitié-Salpêtrière

Ronan Roussel, professeur de diabétologie, CHU Bichat

Gabriel Steg, professeur de cardiologie, CHU Bichat

José Timsit, professeur d’endocrinologie, CHU Cochin

Jean-Paul Vernant, professeur émérite d’hématologie, CHU Pitié-Salpêtrière

Jacques Young, professeur d’endocrinologie, CHU Bicêtre

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