« On peut mettre un nom sur des empreintes génétiques, même 29 ans après les faits ». C’est l’une des conclusions que tire le procureur de Dijon, Jean-Marie Benet, des dernières expertises génétiques demandées dans l’affaire du petit Grégory. Deux profils génétiques complets ont en effet été identifiés mais ce sont ceux de Grégory lui-même et d’un des enquêteurs de l’époque.
Ces résultats d’expertises sont donc un exploit scientifique. En revanche, elles n’ont pas permis de faire progresser l’enquête. Les traces retrouvées sur les vêtements de l’enfant ou sur la cordelette qui a servi à maintenir le corps de l'enfant, sont un mélange d'ADN masculin très partiel . « Très difficilement exploitable », a prévenu le magistrat. Il pourrait éventuellement servir à exclure un suspect.
Si l’énigme reste entière 29 ans après l’assassinat du petit Grégory, et si les espoirs mis dans ces analyses ADN ont été déçus, il n’empêche que les progrès des analyses des empreintes génétiques sont incontestables. Il y a soixante ans exactement, deux jeunes chercheurs britanniques publiaient un article d’une seule page dans la revue Nature. La structure en double hélice de l’ADN était pour la première fois décrite. L’autre tournant, c’est la découverte, en 1985, de la PCR.
Cette technique permet de dupliquer en grand nombre une séquence d’ADN, ce qui facilite le travail des biologistes. Et de gagner du temps. En moins de dix ans, on a appris à faire plus d'un milliard de copies en moins d'une heure. C’est d’ailleurs dans le milieu des années 80 que la justice britannique demande les premières expertises génétiques. En France, « le CHU de Nantes est le premier laboratoire à mettre ses techniques au service de la justice, relate Marie-Gaëlle Le Pajolec, directrice générale déléguée de l’Institut Génétique Nantes Atlantique (IGNA). Mais, à l’époque, il nous fallait des grandes quantités d’ADN pour mener nos analyses. »
Ecoutez Marie-Gaëlle Le Pajolec, expert en empreinte génétique : « Dans les années 90, un mégot de cigarette ne contenait pas assez d’ADN pour faire une analyse génétique. Aujourd’hui, des micros traces peuvent suffire ».
A partir d’une goutte de sang, de sperme ou encore d’un cheveu, les experts en empreinte génétique étudient donc les variations sur l’ADN qui sont propres à chaque individu. Et pour dresser un profil génétique, « on analyse l’ADN au niveau de 16 endroits différents », explique Marie-Gaëlle Le Pajolec . Ce qui laisse peu de place à des erreurs. « Quand nous avons une empreinte génétique complète, précise la responsable du laboratoire de Nantes, nous avons une fréquence de profil inférieur à 1 milliard. Cela signifie que pour trouver, par hasard, quelqu’un avec cette même empreinte génétique il faudrait analyser plus d'un milliard de personnes. »
Cette précision scientifique a sauvé la vie de plus d’un suspect, innocenté par des analyses ADN. C’est la raison pour laquelle s’est créée l’association « Innocent project ». Elle réclame que des condamnés bénéficient d’expertises génétiques. Aux Etats-Unis, 300 personnes ont ainsi pu être innocentées. Or, Innocent Project s’est installé en France en début d’année.
Cependant, l’ADN n’est pas la solution à toutes les énigmes judiciaires. Dans l’affaire du petit Grégory par exemple, la justice avait déjà tenté en 2000 de faire parler l’ADN contenu dans un timbre collé sur une enveloppe envoyée par le fameux « corbeau ». Marie-Gaëlle Le Pajolec s’en souvient puisque c’est l’Institut de Nantes qui était en charge de ces analyses. « Nous avons observé des mélanges d’ADN, 36 personnes avaient manipulé ce timbre. C’est comme si les codes barres s’étaient superposés. C’était illisible. »
La qualité du prélèvement est aussi déterminante. L’ADN peut en effet être pollué à tout moment : sur la scène de crime avant même l’arrivée de la police, lors du prélèvement, du transport, ou encore à l’ouverture des scellés… D’autant que les auteurs de crime savent aujourd’hui comment brouiller les pistes et faire disparaître toute trace d’ADN. Enfin, des erreurs humaines sont toujours possibles.
Ecoutez Marie-Gaëlle Le Pajolec : "En Allemagne, tous les enquêteurs travaillaient sur l'ADN que l'on retrouvait dans toutes sortes d'affaires. On l'appelait l'ADN fantôme. En fait, c'était l'ADN d'une employée de l'usine qui fabrique les tubes avec lesquels nous faisons nos prélèvements !"
Enfin, l’ADN n’est pas une boule de cristal. Une empreinte génétique ne permet pas de dresser un portrait-robot. Catherine Bourgain, co-auteur de « ADN superstar ou superflic » paru aux éditions du Seuil, expliquait sur France Inter dans l’émission « La tête au carrée » du 28 janvier 2013, que « la couleur des yeux pouvait être identifiée grâce à l’ADN. En revanche, la taille de quelqu’un, est aussi liée à des facteurs environnementaux. L’ADN n’en est responsable qu’à 40%. »