Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), vient de publier son rapport pour l'année 2017. Concernant la psychiatrie, elle dénonce une hausse des hospitalisations sans consentement et une banalisation des restrictions, appelant à une "prise de conscience" des droits de la personne hospitalisée. Entretien.
Pourquoi Docteur. Dans votre rapport, vous dénoncez un recours exagéré à l’hospitalisation sans consentement. Quel est le constat ?
Adeline Hazan. Dans beaucoup d’établissements, 40%, parfois 50 %, des hospitalisations se font sans consentement. Selon les statistiques nationales, les hospitalisations sans consentement ont quasiment doublé sur dix ans ! C’est un vrai problème.
Quelles sont les causes de cette augmentation ?
AH. Elles sont un peu difficiles à identifier. Il y a la désinsertion : de plus en plus de personnes se retrouve sans domicile ou sur la voie publique, et se voient hospitalisées sans leur consentement. Depuis leur création en 2011, les hospitalisations pour péril imminent ont explosé. Pour le corps médical, en situation d’urgence, cela évite de rechercher l’autorisation d’un tiers. Le manque de moyens de la psychiatrie de proximité est un autre facteur : les centres médico-psychologiques (CMP) sont débordés et certains ont été supprimés. Comme les patients ne sont pas traités en amont, ils sont souvent en crise lorsqu’ils arrivent à l’hôpital.
Voyez-vous des signes encourageants sur la prévention en santé mentale ?
AH. Non. La médecine hospitalière est en crise. On a beaucoup de mal à trouver des psychiatres pour officier dans les hôpitaux et les CMP. Tant que cette crise du recrutement ne sera pas prise en compte par les autorités publiques, cette situation risque de perdurer. La psychiatrie est vraiment considérée comme le parent pauvre de la médecine hospitalière. Je n’ai pas vu d’annonce qui me permette d’être optimiste sur le sujet.
Vous avez alerté en 2016 sur le recours exagéré à la contention et à l’isolement. Avez-vous été entendue ?
AH. Pas assez. Nous avions alerté il y a deux ans à propos du CH de Bourg-en-Bresse où nous avions découvert des pratiques de contention inacceptables. Les recommandations de notre rapport sur l’isolement et la contention ont été reprises dans la loi Santé de 2016 : le moins longtemps possible, en dernier recours, sur décision d’un médecin, avec inscription dans un registre. La loi est donc tout à fait satisfaisante. Mais il a fallu attendre quinze mois de plus pour avoir une circulaire et malgré ça, certains établissements n’ont pas encore fait le nécessaire. Cette lenteur est un peu inquiétante.
Comme au CH de Saint-Étienne, où vous avez dénoncé le "traitement inhumain" de certains patients de psychiatrie.
AH. Cette situation n’est pas représentative, heureusement, mais ce que nous avons constaté à Saint-Étienne est d’une particulière gravité. Ce qui est très inquiétant, c’est que la HAS (Haute autorité de santé, ndlr) était passée trois ou quatre mois plus tôt et n’avait rien repéré. La qualité des soins avait été certifiée. Cela aurait pu se prolonger pendant encore des années.
Avez-vous pu observer une diminution du recours à l’isolement et à la contention ?
AH. Les registres commencent à se mettre en place tout doucement, mais à ce stade, nous n’avons pas pu constater de diminution générale. Il est sans doute un peu tôt, il faudrait attendre un an ou deux.
Vous dénoncez aussi le fait qu’en hôpital psychiatrique, la vie quotidienne se réduit souvent à une série d’interdits : les sorties, la cigarette, les visites...
AH. On peut tout à fait entendre que pour tel ou tel patient, le retrait du téléphone, l’interdiction de voir la famille pendant quinze jours, la mise en pyjama, etc., soient nécessaires. Ce qui nous paraît attentatoire aux droits fondamentaux, c’est le caractère systématique. Nous avons visité des hôpitaux où l’ensemble des patients n’avaient pas le droit de voir leur famille ou d’utiliser leur portable, et ce pendant un mois entier.
On réduit souvent le problème de la psychiatrie à une question de moyen, mais vous appelez aussi à une "prise de conscience", à ne plus considérer le patient que comme "un objet de soins".
AH. Le manque de moyens est évident. Les praticiens nous expliquent souvent que s’ils disposaient d’une heure pour faire baisser la pression lors d’un moment d’agitation d’un patient, cela permettait d’éviter l’isolement ou la contention physique. Mais c’est aussi une question de culture d’établissement. À effectifs et moyens équivalents, il y a des services où l’on décide de ne pas pratiquer l’isolement et la contention, et d’autres où c’est régulier. Quand le chef de service décide de s’en passer, des solutions alternatives sont trouvées.
Les professionnels de la santé mentale sont-ils sensibles à cette question ?
AH. Oui, de plus en plus. À la fin de nos visites, les praticiens nous font souvent remarquer que notre visite leur a permis de réinterroger leurs pratiques. Cela a été le cas à Saint-Étienne. Le plus choquant c’est que les patients étaient parfois hébergés dans les urgences générales, attachés sur un brancard, dans l’attente de places. Le directeur a immédiatement mis fin à ces pratiques. C’est donc possible.
Si tant est que la pression extérieure soit suffisante.
AH. Exactement.