Confiseries, nuggets, hamburgers, boissons gazeuses, plats cuisinés surgelés... les aliments transformés sont ceux que l'on ne trouve pas dans la nature. Fabriqués par l'industrie agro-alimentaire, ils font partie intégrante de notre consommation quotidienne. Le Dr Anthony Fardet, chercheur en alimentation préventive et holistique, les définit comme des produits "dont on ne peut même pas reconnaître l’origine naturelle tellement (leur) matrice est modifiée".
Selon un rapport de l’Insee, la part de ces produits ultra-transformés à base de viande, de poisson et de légumes a plus que doublé ces dernières années, pour atteindre 41 % en 2006 en France, au détriment des produits demandant davantage de préparation personnelle. Aujourd’hui, elle représenterait 80% de notre consommation alimentaire. Le succès de ces produits réside essentiellement dans le fait qu’ils sont peu coûteux et faciles à consommer. Un avantage non négligeable dans une société pressée, obsédée par les échéances, le gain de temps et les résultats instantanés. Aujourd’hui, les aliments ultra-transformés contribuent à plus de la moitié des apports énergétiques de la France, l’Allemagne, l’Espagne, les États-Unis ou encore le Royaume Uni.
Ajout de sel, de sucre, de conservateurs, de graisses, de très nombreux additifs (nitrite de sodium, dioxyde de titanium...) : tous ces composants altèrent pourtant, voire détruisent les qualités nutritionnelles des aliments produits par l'industrie agro-alimentaire. Alors comment expliquer ce phénomène ?
L'équilibre du sel, du sucre et du gras
Dans son livre Sucre, sel et matières grasses, comment les industriels nous rendent accros, le journaliste américain Michael Moss (lauréat du Prix Pulitzer) affirme que le succès des industriels réside dans l'équilibre des produits ajoutés. Doser correctement le sucre, le sel et le gras augmenterait le plaisir des papilles. "Ces aliments transformés agissent sur certaines zones cérébrales, de façon perverse : quand on les consomme, ils activent les régions du cerveau liées à la récompense et au plaisir", explique-t-il.
"Ils sont conçus pour déclencher un plaisir immédiat, et leur structure - souvent on les mastique moins que les produits bruts - stimule peu l’hormone de satiété : résultat on peut manger sans fin", explique également le Dr Anthony Fardet, dans son livre Halte aux produits ultratransformés, mangeons vrai !.
L'industrie agroalimentaire a inventé le terme bliss point (point de félicité, de bonheur intense) pour justement désigner le niveau de sucré maximum, celui qui rendra les consommateurs accros et fera grimper les ventes. Dans une interview accordée à Lyon Capitale, Michael Moss déclare : "Si vous me demandez si l’industrie agroalimentaire peut fabriquer des aliments plus sains, je pense que oui, pourvu qu’ils y affectent leurs meilleurs scientifiques et que les gens soient prêts à les acheter. Car Wall Street sera là, à attendre les chiffres des ventes : si les produits plus sains ne se vendent pas bien, Wall Street va presser les entreprises pour reprendre leurs versions moins saines". Pourtant, la majorité des maladies chroniques actuelles et des cancers résulterait de cette alimentation dite "transformée".
Les aliments transformés, parents de plusieurs maladies
En février dernier, une nouvelle étude, réalisée en France (cohorte NutriNet-Santé), associant des chercheurs de l’Inserm, de l’Inra et de l’Université Paris 13 et publiée dans le British Medical Journal suggérait en effet que la consommation d’aliments dits "ultra-transformés" accentue le sur-risque de cancer. Une augmentation de 10% de la proportion d’aliments ultra-transformés dans le régime alimentaire est associée à une augmentation de 6 à 18% du risque de développer un cancer en général et de 2 à 22% pour le risque de cancer du sein. Plus spécifiquement, "les graisses et sauces ultra-transformées et les produits et boissons sucrées sont associés à un risque accru de cancer globalement, et les produits sucrés ultra-transformés étaient associés à un risque de cancer du sein", selon les auteurs.
Selon le Dr Anthony Fardet, "il faut réaliser que l'explosion des maladies chroniques dans les pays occidentaux a été concomitante avec l'arrivée massive des aliments ultra-transformés dans les grandes surfaces depuis les années 1980". En somme, l'aspect visuel de ces produits serait travaillé pour séduire les consommateurs. "Les industries cherchent à redonner aux aliments ultra-transformés un goût et une couleur perdus lors du processus de déstructuration. Cela explique en partie qu'ils soient bourrés d'additifs." Mais ce n'est probablement pas la seule cause : l'ajout de substances dont certaines sont toxiques (nitrite de sodium, dioxyde de titanium...), les emballages qui peuvent libérer des substances toxiques (bisphénol A dans les emballages en plastiques...) et la modification de la flore intestinale, le microbiote, sont probablement impliquées dans ces problèmes.
Quels sont ces aliments dits "ultra-transformés" ?
La catégorie "ultra-transformée" de la classification internationale Nova comprend : les sucreries, les desserts, les plats préparés, les gâteaux apéro, les boissons sucrées, les viandes transformées telles que les boulettes ou les nuggets, les soupes industrielles, les pâtes ou encore les plats surgelés. En gros, tous les produits transformés avec l'ajout d'un conservateur qui n'est pas le sel (nitrites...). Selon la classification Nova (reconnue par la FAO et la Pan American Health Organization) qui répertorie les aliments selon leur degré de transformation industrielle, ceux-ci sont tous ultra-transformés.
Entrent également dans cette catégorie la pâte à tartiner, les gâteaux, les barres énergétiques, les saucisses, les poissons reconstitués, certaines marques de céréales, les boissons aux fruits, les yaourts aux fruits, les hamburgers, les hot dog, les pains emballés, la margarine ou encore, les préparations pour nourrissons (petits pots, purée...).
Le microbiote intestinal aussi perturbé par ces aliments
D’où vient le sentiment de satiété qui nous envahit après un bon repas ? De notre cerveau ou de notre ventre ? En réalité, des deux. Par l’intermédiaire d’une protéine sécrétée par certaines bactéries intestinales, comme la leptine qui transmet le message de l’intestin au cerveau. Cette découverte réalisée par des chercheurs de l’Inserm a été publiée dans la prestigieuse revue Cell Metabolism.
Chez le rat et la souris, les chercheurs ont constaté que 20 minutes après un repas, les bactéries Escherichia Coli, des bactéries que tous les humains ont naturellement dans leurs intestins, synthétisent des protéines appelées ClpB. L’intervalle de 20 minutes semble correspondre au temps nécessaire à une personne pour atteindre la satiété. Cette molécule est par ailleurs capable de traverser la paroi intestinale, et donc de rejoindre la circulation sanguine. Les protéines sécrétées par le microbiote intestinal peuvent donc agir sur la prise alimentaire de la même manière que les hormones satiétogènes déjà bien connues. l'augmentation de la part de produits ultra-transformés dans l'alimentation, augmente la quantité de sucres et de graisses et diminue celle de fibres, ce qui transforme profondément notre microbiote et perturbe son fonctionnement normal.
Au final, le Dr Fardet conseille de ne pas consommer plus de deux portions d'aliments ultra-transfomés par jour : "Je n'y suis pas farouchement opposé. Simplement, je pense qu'il faut prendre conscience qu'il ne faut surtout pas en abuser au risque d'être victime de divers maux chroniques". Le nutriscore est d'autant plus nécessaire, mais surement pas suffisant.