A 43 ans, Jérôme Hamon est le seul homme au monde à avoir subi deux greffes de visage entier. Atteint d'une neurofibromatose de type 1, une maladie génétique neurocutanée qui déforme l'aspect du visage par des excroissances, il avait reçu une première greffe en 2010. En 2015, un antibiotique qu'il prend pour soigner un rhume s'avère incompatible avec son traitement immunodépresseur. Les premiers signes de rejet chronique apparaissent l'année suivante. Son visage se dégrade, s'atrophie. Les médecins doivent le lui enlever, il y a urgence. Le malade reste sans visage, avec uniquement des pansements.
Une deuxième greffe de visage
A l'été 2017, les médecins finissent par opter pour une nouvelle transplantation de la face. Du jamais vu. "Mon angoisse, c’était de ne pas trouver de donneur compatible", témoigne sur BFMTV le professeur Laurent Lantieri. Et l'enjeu est de taille : les médecins doivent de nouveau prélever le visage d'une personne décédée, bouche, paupières, nez, joues et système lacrymal compris, en préservant les nerfs et les vaisseaux sanguins, et le greffer sur Jérôme Hamon. Comme il a fait un rejet de sa première greffe, son système immunitaire a sécrété beaucoup d'anticorps et le risque de rejet aigu du 2e visage est très important. L'enjeu est immense, ce n'est pas facile de trouver une donneur compatible.
Une leçon de courage
En attendant que l'Agence de la biomédecine signale un donneur compatible, Jérôme Hamon patiente sans visage pendant près de trois mois dans sa chambre d'hôpital en réanimation. Il ne peut ni entendre, ni voir, ni parler. Le risque d'infection est permanent. Et pourtant, il supporte tout cela avec stoïcisme et courage.
"Une personne qui se retrouve sans visage, et puis dans l’attente d’un hypothétique greffon pour une durée inconnue, c'est quelque chose que personne n’avait jamais vécu ici. Je suis éberlué par le courage du patient qui a pu traverser une épreuve pareille", explique Bernard Cholley, chef de service en anesthésie réanimation cardio-vasculaire. "Toute l'équipe en réanimation a été époustouflée par le courage de Jérôme, sa volonté, sa force de caractère dans une situation tragique. Parce qu'il est alors dans l'attente, et que jamais il ne s'est plaint. Il était même plutôt de bonne humeur".
"J'ai rajeuni de 22 ans"
Une nouvelle équipe médicale se forme. Jérôme Hamon suit un traitement pour éliminer les anticorps qu’il a développé contre son 1er greffon et une chimiothérapie pour mettre son système immunitaire au repos. Son sang est nettoyé de tout anticorps. Le tout assidument encadré par des psychiatres. Il se fait finalement greffer mi-janvier à l’hôpital Georges Pompidou et reste hospitalisé les trois mois suivants. "J'ai 43 ans, le donneur avait 22 ans, donc j'ai rajeuni de 22 ans", confie-t-il aujourd'hui avec humour à BFMTV. Désormais en forme, il espère pouvoir suivre ses traitements de chez lui très bientôt.
"La première greffe, j'ai accepté immédiatement le greffon. J'ai considéré que c'était un nouveau visage et maintenant c'est pareil", dit aujourd'hui Jérôme Hamon lors d'une rencontre avec la presse. "Si je n'avais pas accepté ce nouveau visage, ça aurait été un drame. Effectivement, c'est une question d'identité. (...) Mais là, c'est bon, c'est moi".
Le risque de rejet
Depuis 2005, près d’une quarantaine de greffes du visage, dont certaines complètes, ont été réalisées dans le monde. En dehors des lourdes implications psychologiques et éthiques, il s'agit d'une opération techniquement délicate, mais le risque est surtout lié au phénomène de rejet du greffon.
Ce risque de rejet est très important en raison de la multiplicité des types de tissus humains greffés (peau, muscle, graisse, nerfs, vaisseaux sanguins...), en particulier les couches profondes de la peau qui contiennent naturellement beaucoup de cellules immunologiques, les lymphocytes, une catégorie de globules blancs du système immunitaire qui s'attaquent aux tissus greffés, non-reconnus car considérés comme n'appartenant pas au "soi".
Ce risque de rejet majoré impose une protocole thérapeutique très lourd, associant plusieurs médicaments anti-rejets, et qui abaisse les défenses de l'organisme, expose le corps à des infections et des cancers et doit quand même être pris à vie.
Pourquoi le corps peut-il rejeter un greffon ?
Le succès de ces interventions doit moins à la dextérité des chirurgiens qu’à une autre découverte – beaucoup plus récente puisqu’elle n’a que 38 ans, les immunosuppresseurs, qui sont les médicaments anti-rejet et dont la ciclosporine et le chef de file.
En effet, nous savons tous comment réagit notre organisme contre un corps étranger, par exemple lorsque nous avons une épine sous la peau. La zone devient rouge, dure, et l’épine se trouve rapidement entourée par une zone inflammatoire qui contient des cellules de défense immunitaire et dont le rôle est de rejeter l’intrus. Et bien nous réagissons aussi violemment contre l’intrusion d’un cœur étranger ou d'un visage étranger. Sans traitement anti-rejet, que l’on appelle traitement immunosuppresseur, inévitablement, quelque temps après, tout est à refaire : le corps n’accepte pas un organe étranger et demande à son système immunitaire de se défense et donc de le détruire.
L'immunosuppression dirigée contre différents type de globules blancs, et en particulier les lymphocytes T, est venue résoudre cet épineux problème en obtenant la suppression du système immunitaire de défense contre le greffon. C'est grâce à ces médicaments que toute la chirurgie de greffe (rein, cœur, poumon, foie...) a pu prendre le développement qu'elle a pris : .
Regardez l'émission L'invité santé de Pourquoidocteur avec le Pr Laurent Lantieri, de l'Hôpital Européen Georges Pompidou (HEGP) à Paris, diffusée le 8 septembre 2016.