Connue pour son opposition à l'usage du cannabis, la France a tout de même légalisé son principal composant psychoactif en 2007, le delta 9-tétrahydrocannabinol (THC) à "l'insu de son plein gré".
Une faille découverte dans le Code de la santé publique par Renaud Colson, maître de conférences à l’université de Nantes et chercheur à l’Institut universitaire sur les dépendances de Montréal, au Canada, qui en a fait part dans la revue juridique française Dalloz, que Libé a consultée.
Le THC sous sa forme naturelle
En effet, l'article R5132-86 du code de Santé publique stipule que "sont interdits la production, la fabrication, le transport, l'importation, l'exportation, la détention, l'offre, la cession, l'acquisition ou l'emploi du cannabis, de sa plante et de sa résine, des produits qui en contiennent ou de ceux qui sont obtenus à partir du cannabis, de sa plante ou de sa résine ; des tétrahydrocannabinols, à l'exception du delta 9-tétrahydrocannabinol, de leurs esters, éthers, sels ainsi que des sels des dérivés précités et de produits qui en contiennent".
Selon René Colson, le texte d'origine a d’abord autorisé le "delta-9-tétrahydrocannabinol de synthèse" en 2004, permettant ainsi l’importation de certains médicaments comme le Marinol, utile dans le traitement du sida et du cancer. Mais une mise à jour du texte en 2007 a supprimé la mention "de synthèse", autorisant ainsi le THC sous sa forme naturelle.
Bientôt utilisé dans des produits du quotidien ?
Le THC est le cannabinoïde le plus abondant et le plus présent dans la plante de cannabis. Ses propriétés psychoactives agissent sur le psychisme en modifiant le rythme cérébral. Sa teneur varie entre 4 et 9 % dans la plante, tandis que la résine de cannabis en contient entre 8 et 30 %. Cette molécule est notamment à l'origine de la rougeur des yeux en cas de consommation, des sensations de fatigue, de somnolence, de faim et d'euphorie.
S'il est autorisé à la consommation dans sa forme naturelle, il se pourrait qu'il soit utilisé de la même façon que le cannabidiol (CBD), un autre principe actif de la plante de cannabis que l'on retrouve légalement sur le marché sous forme de tisanes, liquide pour cigarettes électroniques, huiles, baumes cosmétiques ou encore gélules.
Selon Renaud Colson, interviewé par le quotidien, il serait en effet possible de fabriquer "des produits combinant du THC et du CBD naturels, c’est-à-dire du cannabis reconstitué qui présenterait les diverses caractéristiques du produit sans en avoir les apparences", mais il demeure peu probable que "des entreprises spécialisées se lancent dans ce secteur d’activité, sauf peut-être des aventuriers prêts à engager un combat judiciaire à l’issue incertaine".
700 000 usagers quotidiens en France
Selon le dernier rapport de l'Observatoire français des drogues et de la toxicomanie (OFDT), le cannabis compte 17 millions d'expérimentateurs, 5 millions d'usagers dans l'année, 1,4 millions d'usagers réguliers et 700 000 usagers quotidiens. Le gouvernement d'Emmanuel Macron n'a jamais laissé entrevoir la possibilité d'une éventuelle légalisation.
L'usage du cannabis reste donc passible de poursuites en France. La ministre de la Justice Nicole Belloubet a d'ailleurs récemment annoncé que les consommateurs de cannabis pris sur le fait écoperont d'une amende de 300 euros. Une nouvelle mesure pour renforcer l'efficacité des sanctions, qui prévoient déjà qu'un consommateur de drogue risque un an de prison et 3 750 euros d'amende (loi de 1970). On compte 14 000 interpellations pour consommation de drogues chaque année, seules 3 098 peines de prison ont été prononcées en 2015, dont 1 283 fermes. La garde des Sceaux va plus loin que les préconisations du rapport parlementaire des députés Eric Poulliat (LREM) et Robin Reda (LR), qui recommandait une amende comprise entre 150 et 200 euros. Les mineurs, soumis à un régime juridique spécifique, ne sont pas concernés par ce projet de loi.
Les conséquences d'une consommation massive
Plusieurs études ont récemment démontré que le cannabis était dangereux pour la santé, notamment pour le cerveau. Une recherche publiée dans le British Journal of Pharmacology indique que la consommation de cannabis de synthèse provoque des troubles du comportement et de l'attention, alors même que les doses du cannabinoïde de synthèse sont plus faibles qu'en utilisation courante.
Des résultats publiés dans la revue JAMA Psychiatry indiquent que la consommation du cannabis touche deux zones du cerveau (le précunéus, région cérébrale impliquée dans la vigilance et la conscience de soi, et l’hippocampe, qui concerne la mémorisation et l’apprentissage), augmentant les risques de depression et pouvant entraîner des cas de schizophrénie. Les conséquences d’une utilisation massive de cannabis sur le développement psychologique et social peuvent être nombreuses et influencer le jeune jusqu’à son âge adulte. Les effets nocifs en relation au cannabis sont d'ailleurs plus prononcés lorsque la première consommation se fait avant l’âge de quatorze ans.
Comme pour le tabac et l’alcool, l'expérimentation du cannabis est en baisse et passe pour la première fois depuis 2000 sous la barre des 40 %. Ce chiffre est une bonne nouvelle à la vue des effets immédiats et chroniques d’une prise de cannabis sur le système nerveux, que ce soit sur le risque de psychoses, les capacités de mémorisation, d’attention et d’apprentissage. Le cannabis consommé par les adolescents est soupçonné d'être l'une des causes de l'échec scolaire.
Retrouvez notre émission : Tous addictif et après ?