Il y a cent ans, éclatait la grippe espagnole. La pandémie, née en fait aux États-Unis, aurait fait au moins 50 millions de morts, soit plus que les combats de la Première Guerre mondiale. Depuis, les épidémies de grippe saisonnière tendent à faire des ravages à bas bruit, tuant entre 290 000 et 650 000 personnes chaque année dans le monde. Un fléau contre lequel Bill Gates a décidé d’engager sa fondation philanthropique, afin d’inciter les chercheurs à mettre au point un vaccin universel contre la grippe.
"Nous pensons qu’un vaccin universel contre la grippe pourrait non seulement permettre d’éliminer le risque pandémique, mais aussi susciter d’importants bénéfices en santé", a expliqué Bill Gates au magazine STAT, à l’occasion d’un congrès virtuel destiné aux médecins et experts en santé publique. Une démonstration d’optimisme à l’américaine, pour laquelle la fondation Bill & Melinda Gates s’engage à mettre 12 millions de dollars sur la table.
Un virus pervers et polymorphe
Les virus responsables de la grippe (Influenza) sont très instables, en plus d’être hautement contagieux. Leur patrimoine génétique ne cesse d’évoluer, par mutation ou par recombinaison entre sous-types, de sorte qu’on ne sait jamais quelle souche exacte frappera. Les nouveaux vaccins, conçus chaque année avec des souches périmées, sont donc à la peine, et la mise au point d’un vaccin universel représente une sorte de graal épidémiologique.
"Je ne pense pas que nous en soyons proche", indiquait le Pr Michael Osterholm, directeur du centre d’infectiologie de l’université du Minnesota, dans les colonnes de STAT. "Il y a eu des travaux d’une importance cruciale, mais nous en sommes seulement au premier mètre alors qu’il nous faudrait une corde de trente mètres."
Essais cliniques d'ici 2021 ?
Le coup de pouce de Bill Gates aux grimpeurs prendra la forme de bourses individuelles, d’un montant de 250 000 à 2 millions de dollars sur deux ans. Pour ce tarif, les scientifiques doivent être capables de proposer un prototype d’ici 2021, valide et efficace chez l’animal, qui protège contre tous les sous-types de deux principaux virus, Influenza A et B. Cerise sur le gâteau, l’immunité doit durer au moins 3 à 5 ans – contre quelques mois pour les vaccins actuels.
L’objectif est donc pour le moins ambitieux. L’appel à projets invite d’ailleurs les scientifiques à faire appel à des champs connexes, comme l’intelligence artificielle, le machine learning et la bio-informatique. Un projet de loi, déposé il y a peu au Sénat américain, proposait quant à lui d’investir la bagatelle d’un milliards de dollars sur cinq ans. Étant donné les priorités budgétaires de l’actuelle administration, ses chances d’aboutir paraissent minces.
Des vaccins peu efficaces… mais utiles
Selon les années, la vaccination contre la grippe protège entre 20 et 70 % des personnes vaccinées. Malgré ces résultats limités, l’agence Santé publique France estime que la vaccination permet d’éviter 2000 décès par an en France chez les personnes de plus de 65 ans, alors que le virus serait à l’origine de 9000 décès par an dans cette catégorie.
Les vaccins actuels utilisent une partie très instable du virus, porteuse d’antigènes (les hémagglutinines) capables de provoquer des réactions immunitaires virulentes, mais très variables dans leur expression. Une des stratégies les plus avancées, en cours d’évaluation chez l’homme, consiste à cibler les antigènes de la "queue" du virus (les neuraminidases), moins immunogènes mais plus stables.