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Grossesse

L’avenir d'un foetus ne se lit pas dans son ADN

Par Afsané Sabouhi

D’ici peu, il sera possible de lire dans le génome des fœtus leurs risques de maladies génétiques ou de cancers. Pour éviter les dérives commerciales et eugénistes, le Comité d’éthique met en lumière un nouveau métier : conseiller en génétique. 

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Connaître intégralement le patrimoine génétique de son futur enfant n’est plus de la science-fiction. Les biologistes sont désormais capables de récupérer, dès la 9e semaine de grossesse, les quelques cellules du fœtus circulant dans le sang de sa mère et d’en extraire l’ADN. Grâce à ces avancées techniques, on dépistera très prochainement la trisomie 21 par une simple prise de sang et non plus par une amniocentèse potentiellement à risque de fausse couche. Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a donné son feu vert la semaine dernière à cette forme de dépistage. En revanche, dans le même avis, le Comité se montre beaucoup plus soucieux quant au séquençage intégral du génome fœtal. Etant donné la vitesse d’évolution des techniques dans ce domaine, le CCNE a d’ores et déjà dressé la longue liste des interrogations éthiques qui surviennent si toute l’information génétique d’un fœtus devient accessible à un coût abordable dès la 9e semaine de grossesse.

Ecoutez le Pr Jean-Claude Ameisen, président du Comité consultatif national d’éthique : « On ne peut pas lire l’avenir du fœtus dans l’ADN, il y a un nombre infini de séquences dont personne ne connaît encore la signification ».



Ce type de séquençage de toute l’information génétique d’un fœtus n’est pour le moment faisable que dans certains laboratoires spécialisés à des coûts supérieurs à 1000 euros. Mais dans un futur proche, ce type de tests pourraient devenir beaucoup plus accessibles. La boîte de Pandore est à portée de main, il deviendra même moins coûteux de séquencer l’intégralité du génome fœtal plutôt que d’aller vérifier uniquement la présence d’un chromosome ou d’un gène particulier responsable d’une pathologie. C’est donc tout le dépistage prénatal, notamment dans les familles à risque de maladies génétiques, qui devra être repensé. Et même si l’on identifie dans le génome du fœtus le ou les gènes connus pour être responsables d’une maladie, cela ne suffit souvent pas à prédire si le futur enfant en développera une forme sévère ou modérée. Or ces séquençages seront possibles très tôt au cours de la grossesse, avant même la fin du délai légal de l’IVG. Le Comité d’éthique s’interroge donc sur l’attitude à adopter face à toute cette information disponible mais imprécise et potentiellement très anxiogène.

Ecoutez le Pr Jean-Claude Ameisen, président du Comité consultatif national d’éthique : « Il y a 2 alternatives : ne lire que ce qu’on comprend ou ne dire aux parents que ce qui est médicalement pertinent ».



Dans son dernier avis, le Comité d’éthique penche plutôt pour une sélection par le corps médical des informations à délivrer aux futurs parents. Le génome serait intégralement « lu » mais seules les informations concernant des maladies graves ou incurables seraient communiquées aux parents pour ne pas les inquiéter inutilement.

Certains s’inquièteront probablement de ce retour du paternalisme médical, laissant l’équipe décider de ce que les parents sont en mesure d’entendre. Ce n’est pas du tout le cas d’Anne-Marie. En 2006, elle a eu recours au dépistage prénatal au début de sa deuxième grossesse pour écarter le risque d’amyotrophie spinale, une maladie génétique grave dont elle se savait porteuse et qui clouait déjà son fils aîné dans un fauteuil roulant. Le séquençage total n’existait pas encore mais à la 10e semaine de sa grossesse, cinq maladies génétiques dont l’amyotrophie, la trisomie 21 et la mucoviscidose ont été recherchées dans l’ADN du fœtus. Après deux très longues semaines à attendre les résultats, il s’est révélé que Mathilde n’aurait pas la maladie de son grand frère. « Mais nous ne savons pas si elle est porteuse saine du gène défectueux qu’elle pourrait transmettre à ses futurs enfants. Les médecins ne le lui diront qu’à elle, lorsqu’elle sera majeure. Je trouve parfaitement normal que les médecins ne nous aient pas donné cette information, qui aurait pu nous affoler. Ce n’était pas vital pour notre bébé au moment où nous avons pris la décision de le garder », explique Anne-Marie.

Outre la sélection des informations, c’est la manière dont elles sont annoncées aux couples qui compte beaucoup. Le Comité d’éthique s’inquiète du développement déjà amorcé de sociétés privées réalisant ce type de séquençage sans cadre légal ni médical. Il préfère mettre en lumière un métier inspiré des hôpitaux nord-américains et développé en France depuis 2005 : conseiller en génétique. On en trouve un dans presque chacun des CHU français et dans les centres de lutte contre le cancer. Ces professionnels de santé (biologiste, infirmière, sage-femme…) suivent deux ans de formation universitaire complémentaire pour allier des connaissances en médecine, en génétique et en psychologie.

Ecoutez Marie-Antoinette Voelckel, conseillère en génétique à l’hôpital d’enfants de La Timone à Marseille : « Malgré l’angoisse et les larmes, le couple doit entendre et comprendre les résultats pour pouvoir décider librement »


Etre reçu par un conseiller en génétique qui prend le temps de vous expliquer le test et ce qu’il implique ne protège pourtant en rien les futurs parents de l’angoisse. « Au contraire ! A raconter chacun les antécédents de sa propre famille, non seulement on voit son conjoint d’un autre œil mais en plus la liste des risques potentiels pour son enfant s’allonge. Les quinze jours d’attente des résultats sont interminables », raconte Margot, à propos de son conseil en génétique en 2009.

Le Comité d’éthique a bien conscience de cette aspiration des futurs parents à savoir si leur enfant va naître en bonne santé. Ceci explique d’ailleurs le caractère très prospectif de son dernier avis. Car l’avancée technique que constitue la capacité à séquencer le génome des fœtus semble pour le moment poser beaucoup plus de questions à la société qu’elle n’apporte de réponses aux futurs parents. Face aux questions éthiques que soulève cette révolution technique annoncée, Jean-Claude Ameisen rappelle à bon entendeur qu’« il y a dans notre pays un défaut majeur et profond d’accompagnement des personnes atteintes de handicap ou de maladie grave, ce qui exerce une pression indirecte non négligeable  sur le choix des femmes enceintes ».