C'est un scandale qui fait les choux gras de la presse britannique, mais c’est une découverte qui pourrait faire avancer la recherche sur n’importe quelle maladie. Pour la première fois, une étude menée par une équipe de scientifiques de Rockefeller et parue dans la revue Nature a mis en lumière les circuits moléculaires qui déterminent le destin d'une cellule humaine.
Credit: Laboratory of Stem Cell Biology and Molecular Embryology at The Rockefeller University
Les organisateurs
Les scientifiques savaient déjà, suite à de multiples expériences sur les animaux, que les cellules souches embryonnaires peuvent se différencier en n'importe quel type de cellules spécialisées de l'organisme : os, cerveau, poumons, foie… etc. Ils savaient aussi que des groupes spéciaux de cellules trouvées dans les embryons d'amphibiens et de poissons jouent un rôle exécutif dans le façonnement des structures de développement précoce. Ces groupes, appelés "organisateurs", émettent des signaux moléculaires qui dirigent d'autres cellules pour qu’elles grandissent et se développent de manière spécifique. Par ailleurs, lorsqu’un organisateur est transplanté d'un embryon à un autre, il peut par exemple inciter son nouvel hôte à produire une colonne vertébrale secondaire.
En raison des directives éthiques qui limitent l'expérimentation sur les embryons humains, les chercheurs ne savaient pas s'il existait un organisateur similaire chez l’homme. Pour voir si c'était possible, le docteur Brivanlou et son équipe ont effectué une série d'expériences impliquant des embryons humains artificiels : de minuscules grappes de cellules, d'environ un millimètre de diamètre, cultivées en laboratoire à partir de cellules souches embryonnaires humaines. Bien que loin de leurs homologues naturels, ces simulacres artificiels contiennent beaucoup de cellules et de tissus présents dans les embryons humains authentiques.
Des embryons humains artificiels sur de véritables embryons de poulet
Des études antérieures ont révélé que trois voies de signalisation différentes favorisent le développement embryonnaire précoce chez des animaux comme les souris et les grenouilles. En activant ces voies dans des embryons humains artificiels, le docteur Brivanlou et ses collègues ont montré que les mêmes signaux moléculaires peuvent aussi stimuler le développement des cellules humaines.
Pour valider leurs découvertes initiales, les chercheurs ont greffé des embryons humains artificiels sur de véritables embryons de poulet - mais pas avant d'avoir étiqueté les cellules humaines avec un marqueur fluorescent qui leur a permis de suivre précisément les cellules sous un microscope. Ce qui s'est passé ensuite les a stupéfait.
La transplantation de cellules d'une espèce à une autre n'est pas nécessairement facile : les tentatives précédentes de l'équipe de combiner des embryons humains artificiels avec de véritables embryons de souris se sont avérées extrêmement difficiles, et personne n'a jamais réussi à greffer des cellules embryonnaires humaines sur un embryon d'oiseau précoce.
Les bases d'une colonne vertébrale secondaire et d'un système nerveux
Pourtant, dès qu'ils ont été présentés à leurs hôtes aviaires, les cellules humaines ont commencé à jeter les bases d'une colonne vertébrale secondaire et d'un système nerveux - un acte qui annonçait clairement la présence d'un véritable organisateur humain. "À mon grand étonnement, la greffe n'a pas seulement survécu, mais a donné naissance à ces structures merveilleusement organisées ", explique le docteur Brivanlou.
Il a été encore plus surpris par la provenance de ces structures. Car si les progéniteurs du cartilage et du tissu osseux qui comprendraient éventuellement une deuxième colonne vertébrale étaient entièrement composés de cellules humaines, les débuts du tissu nerveux qui formerait en fin de compte sa moelle épinière et son cerveau étaient composés exclusivement de cellules de poulet.