Après les paquets de cigarettes neutres, doit-on s’attendre à voir apparaître dans nos pharmacies des boîtes de pastilles pour la gorge, d’antispasmodiques ou d’antihistaminiques sans nom de marque ?
C’est en tout cas la recommandation faite par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). En février dernier, celle-ci a publié un rapport dans lequel elle préconise de rendre moins visibles le nom des marques et les arômes sur le devant des boîtes de médicaments sans ordonnance. Seules la dénomination scientifique des substances actives et l’indication du médicament seraient explicitement visibles. Ainsi, par exemple, une boîte d’Imodium ne présenterait plus comme repère que "Chlorhydrate lopéramide" et "diarrhées aiguës passagères".
Des "boîtes plus lisibles pour prévenir les erreurs" affirme l’ANSM
L’objectif d’une telle recommandation ? Limiter les usages inappropriés des médicaments car, selon l’ANSM, de nombreux patients préfèrent se référer à la marque d’un médicament plutôt qu’à ses propriétés actives et ses usages. Or, cela n’est pas sans risque. Cela peut même, en cas d’effet secondaire, compliquer sa prise en charge car le patient ne sait pas quelle(s) molécule(s) de la marque il a pris.
"Aujourd'hui, les patients ne retiennent que la marque. Et certaines recouvrent jusqu'à huit médicaments différents. C'est le travers : des patients qui se plaignent d'effets secondaires à leur pharmacien ne savent pas quel médicament ils ont pris", explique à FranceInfo la directrice juridique de l'ANSM, Carole Le Saulnier. "Nous voulons faire en sorte que les paquets soient le plus lisibles possible, pour prévenir les erreurs", ajoute le directeur de la surveillance, Patrick Maison.
"Des risques de confusion" selon l’AFIPA
Un constat que ne partage pas l’Association française de l’industrie pharmaceutique pour une automédication responsable (AFIPA). Dans un communiqué daté du 31 mai, l’association pointe les "risques de confusion entre les différents conditionnements de médicaments découlant de cette nouvelle mesure" en mettant en avant une "moindre visibilité" et une "ressemblance entre les packs". "Cette recommandation ne servira pas l’objectif annoncé par l’ANSM de réduction des erreurs médicamenteuses, mais entrainera des effets contraires préjudiciables à la santé des patients", déclare-t-elle.
"C’est au pharmacien d’associer le conseil"
Mais qu’en pensent les pharmaciens ? Au plus près de la patientèle, à qui ils délivrent médicaments et conseils, ce sont eux qui sont concernés par cet éventuel nouveau packaging "banalisé".
Pour une pharmacienne que nous avons contactée à Cormeilles-en-Parisis, dans le Val d’Oise (95), ces boîtes neutres favoriseraient davantage le conseil auprès des patients. "Le problème, avec les médicaments sans ordonnance, c’est qu’ils favorisent l’autodiagnostic, et que celui-ci est parfois erroné". "Il n’est pas rare qu’un client nous demande d’emblée de l’Imodium pour les diarrhées ou du Zyrtec pour les allergies car il a posé le diagnostic lui-même. Notre métier, c’est aussi de lui poser les bonnes questions pour savoir si le médicament qu’il demande est le plus approprié : s’il est pour lui, s’il en a déjà pris, s’il connaît les contre-indications. Et évidemment, quels sont les symptômes qui le poussent à le prendre."
Toutefois, la pharmacienne partage les inquiétudes de l’AFIPA. "Cela risque malgré tout de créer de la confusion, notamment chez les patients plus âgés. C’est déjà le cas pour les médicaments délivrés sur ordonnance lorsque l’on donne le générique au lieu du princeps : ils ont l’habitude de se référer à la forme du médicament, à sa couleur. Si plus rien n’est visible sur l’emballage, ils auront encore moins de repères", analyse-t-elle.
D’où la nécessité de demander conseil à son pharmacien ou à sa pharmacienne avant toute prise de médicament, même s’il est accessible sans ordonnance. "Il ne faut pas oublier qu’ils ne sont pas pour autant sans danger pour la santé. Même lorsqu’il vend une simple boîte de pastilles pour la gorge, c’est au pharmacien d’associer le conseil, de se renseigner pour savoir si sa prise est vraiment recommandée. Mais supprimer le nom du médicament est à mon sens inutile, voire dangereux car il risque de perturber davantage les patients", conclut la pharmacienne.