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Cancérologie

Traitements anti-cancer onéreux : révolution thérapeutique, mais perte de chance pour les malades ?

Par le Dr Jean-François Lemoine

Des nouveaux traitements innovants très chers ont été présentés lors du dernier congrès américain annuel de cancérologie. Qui va pouvoir se payer ces médicaments ? Certains patients sont-ils condamnés alors que la solution existe ?

Pablo_K /istock

L’ASCO*, le congrès américain annuel de cancérologie qui réunit chaque année 40 000 congressistes, propose des milliers de communications et une exposition, organisée par l’industrie pharmaceutique pour promouvoir leurs médicaments, avec un luxe qui peut paraître indécent devant les difficultés financières de tous les systèmes de santé. Apparaissent lors de ce congrès des médicaments nouveaux, innovants, chers, très chers ! Un prix justifié ou pas n’est pas le sujet aujourd’hui, mais une constatation qui impose une réflexion : qui va pouvoir se payer ces médicaments et y-a-t-il une perte de chance pour certains malades, dont certains sont condamnés alors que la solution existe.

Confirmation de Muriel Dahan, directrice des recommandations et du médicament à l’Institut National du Cancer, l’INCA : "Si on ne se donne pas les moyens d’offrir à tous les patients qui peuvent en bénéficier, ces médicaments innovants, on peut clairement parler de perte de chance…". Cette simple constatation impose une stratégie en plusieurs étapes.

Médecine de précision

D’abord définir avec précision quels sont les patients qui peuvent bénéficier de cette innovation. En clair, ne pas "arroser" tous ceux qui souffrent d’un type de cancer, mais rendre la spécialité "précise". La "médecine de précision" est  d’ailleurs une des expressions clef de ce congrès 2018. Les médecins disposent déjà, pour un même cancer, de tests permettant, en analysant l’ADN de la tumeur, de savoir si le traitement est ou va être efficace. Une révolution qui permet déjà de dire par exemple que dans le cancer du sein un certain nombre de femmes pourrait à terme, se passer de chimiothérapie. C’est ce que l’on appelle la "révolution en marche dans le cancer" : l’existence de traitements efficaces et mieux personnalisés.

Efficacité et sécurité

Etape suivante : on doit s’assurer de l’absence d’effets secondaires de ces nouveaux traitements. Sur ce point, la recherche a mis la qualité de vie des patients dans le cahier des charges de l’innovation, et il est incontestable que, dans un premier temps, la toxicité est très inférieure aux anciens médicaments mal ciblés et surpuissants. A confirmer !

Concrètement le processus de remboursement passe par un certain nombre de vérifications, qui aboutissent à une autorisation européenne de mise sur le marché. Celle-ci se discute essentiellement sur la balance entre les avantages et les inconvénients, qui doit pencher de façon importante vers les effets bénéfiques.

On évalue aussi le service rendu par ce médicament, une analyse scientifique complexe. Si ce service rendu n’est pas suffisant, pas question de remboursement : en particulier si la comparaison avec les médicaments anciens n’est pas évidente pour le nouveau produit.

En cas d’efficacité et de sécurité démontrés pour l’innovation, commence un casse-tête – dans notre pays du moins – pour l’assurance maladie. Celle-ci gagne du temps en demandant des essais "gratuits" au laboratoire, ce que l’on appelle les ATU, les Autorisations Temporaires d’Utilisation. Cette stratégie n’a qu’un temps et surtout risque d’augmenter l’envie des médecins d’avoir recours à ce produit si les résultats s’avèrent positifs. C’est par exemple ce qu’il s’est passé lors de cet ASCO, avec des spécialistes de la vessie, horrifiés de constater que l’utilisation d’un produit efficace dans une forme de cancer de la vessie deviendrait impossible. "C’est 2000 malades injustement condamnés à mort" comme nous l’affirmait un de ces médecins, sous couvert d’anonymat. Car le dossier est sensible…

Perte de chance ?

Enfin dernière étape, et pas des moindres, il faut s’assurer que l’on aura la capacité d’offrir cette innovation à tous ces patients sélectionnés. Si on n’y arrive pas, c’est effectivement une perte de chance.

L’Inca a une mission fondamentale dans l’accès au médicament, qui est inscrite dans tous les plans cancer. Favoriser l’accès équitable et sur tout le territoire, est un enjeu qui recouvre plusieurs champs, une parole unique et nationale de référence : la pertinence des soins, de l’utilisation des médicaments, et sa place dans la stratégie d’ensemble de lutte contre une forme particulière de cancer.

Cette orientation donnée… reste au payeur de décider. Pour le professeur Muriel Dahan, cela reste perfectible : "Il y a eu des évolutions législatives réglementaires qui ont conduit à un déplacement des modalités d’intégration du médicament, dans un ensemble de prise en charge financières. Ces évolutions n’ont pas favorisé l’égalité de traitement concomitant avec une quantité importante d’innovations qui sont arrivées sur le marché. Avec – il faut insister là-dessus – des indications successives dans des formes différentes, voire d’autres cancers, ce qui a complexifié le dossier du remboursement".

Historiquement notre pays était extrêmement novateur sur l’arrivée des médicaments innovants, dont on permettait l’utilisation très anticipée grâce aux ATU, ce qui nous plaçait en première position pour un accès rapide. Aujourd’hui ce n’est plus le cas, avec les extensions des indications et les adaptations réglementaires nécessaires. Et le mot perte de chance est sur toutes les lèvres.

Quant à ceux qui pourraient être tentés de se payer l’innovation, s’ils en ont les moyens, cette démarche paraît impossible en pratique même si elle est théoriquement envisageable.

La colère des malades

Un médecin français connaît bien cette perte de chance qu’il combat depuis des années : le professeur Gilles Vassal, l'un des meilleurs pédiatres du cancer. Dans sa discipline, les médicaments – ceux pour les adultes – existent, mais ne peuvent pas être utilisés en raison de la dureté des conditions d’utilisation chez les enfants.  Ce sont les association de patients, du moins de parents de petites victimes, qui ont permis aux médecins d’obtenir gain de cause, avec un pression permanente sur le monde politique et surtout médiatique.
A quand les gens dans la rue pour réclamer le remboursement de l’innovation ? On s’en approche…

*ASCO : Américan Society of Clinical Oncology

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