Entretien avec le Professeur de cancérologie Gilles Freyer, également spécialiste du sein au Centre Hospitalier Universitaire de Lyon.
Dr Jean-François Lemoine : Ce nouveau mot est assez difficile à expliquer parce qu’on le connaît mal, mais les médecins le connaissent bien : c'est la "métronomie". Pouvez-vous nous expliquer de quoi s'agit-il ?
Professeur Gilles Freyer : Il s'agit d'un nouveau concept d’administration de la chimiothérapie. Vous savez que la chimiothérapie est un ensemble de perfusions (médicaments intraveineux) avec tout son cortège d’effets secondaires qui font si peur : la chute de cheveux, le risque de nausées, etc… S'ils sont réèls, il faut préciser aux personnes qui nous lisent, qu’il n’y a pas de liens, par exemple, entre la chute des cheveux et la gravité de la maladie ou la lourdeur de la chimiothérapie. Certains médicaments sont toxiques pour les cheveux et d’autres ne le sont pas. Heureusement, de moins en moins de personnes perdent leurs cheveux. Toujours est-il que la métronomie est le résultat d'une réflexion datant du début des années 2000, sur le thème : "est-il possible de trouver de nouvelles modalités d’administration de la chimiothérapie efficaces, qui embêteraient moins les gens et seraient bien tolérées ?".
Dr Jean-François Lemoine : C’est donc une démarche écologique qui consiste à dire : "on va donner plus souvent, mais moins fort", c’est ça ?
Professeur Gilles Freyer : C’est ça. Et puis c’est en général par voie orale…
Dr Jean-François Lemoine : Ca peut surprendre les gens ! On traite certains cancers aujourd’hui sans perfusion ?
Professeur Gilles Freyer : Je dirais même quasiment la majorité des cancers aujourd’hui. Il y a d’abord les produits de chimiothérapie classiques, sous forme orale, qui existent depuis très longtemps, (presque 30 ans pour certains d’entre eux) et qu’on revisite. Puis nous avons toutes les thérapies ciblées, qui ne sont plus des chimiothérapies, mais des thérapies modernes administrées par voie orale.
Dr Jean-François Lemoine : Donc la métronomie consiste à prendre des médicaments plus souvent. Cela veut dire tous les jours ?
Professeur Gilles Freyer : Cela peut être tous les jours, ou trois fois par semaine... La chimio intraveineuse intervient en général une fois toutes les 3 semaines - parfois une fois par semaine mais c'est plus rare. Donc on voit qu’il y a là quand même une différence largement notable : le patient n'est pas obligé de se rendre à l’hôpital pour prendre son comprimé, la prise se fait à la maison, avec un suivi en consultation.
Dr Jean-François Lemoine : Etes-vous sûr que les patients prennent leurs comprimés ?
Professeur Gilles Freyer : En général, oui. Parce que les quelques études qui ont été faites montrent que plus la thérapeutique est sérieuse, plus les personnes le sont. Plus la maladie est sérieuse, plus les personnes font attention, et s’investissent dans la prise du traitement.
Dr Jean-François Lemoine : C’est très bien de donner des petites doses plus souvent, mais moi, si j’avais un cancer, j’aimerais surtout savoir si ça marche…
Professeur Gilles Freyer : Ça marche. Aussi bien ? Là est question. Ces études ont été conduites dès le début des années 2000 et très peu d’entre elles étaient comparatives. Il s'agissait simplement de cohortes de personnes traitées de cette manière, dont on rapportait des résultats. Vous savez qu’aujourd’hui, si on veut être convaincant, il faut les comparer à la chimiothérapie intraveineuse ou aux meilleurs traitements standards.
C’est en train de se faire doucement. Il faut signaler aussi que ces vieilles chimiothérapies dont je parlais, qu’on reprend, qu’on donne sous une forme quotidienne, ne sont plus supportées par l’industrie pharmaceutique : il n’y a pas d’investissement. Ce sont des choses qui se sont développées quand même d’une manière un petit peu plan-plan, évidemment, sans beaucoup de soutien. Aujourd’hui, une étude internationale a été menée sur un des médicaments dont nous parlons, qui s’appelle la vinorelbine orale. Elle compare cette modalité d’administration, en l’occurrence trois fois par semaine par rapport à la chimiothérapie intraveineuse, et nous aurons les résultats courant 2019.
Dr Jean-François Lemoine : Est-il possible que l'on se revoie à l’ASCO 2021 et que tous les médicaments soient administrés par voie orale et de façon métronomique ?
Professeur Gilles Freyer : Non, parce que malheureusement, assez peu de médicaments de chimiothérapie existent sous forme orale. Mais nous aurons un enrichissement de nos possibilités : nous pourrons offrir aux personnes, en fonction du stade de leur maladie, de la gravité, de leurs symptômes et aussi de leurs préférences (point tout à fait important) tel ou tel type de médicament, avoir une approche plus personnalisée. Ce n’est pas de la médecine de précision, parce qu’on est toujours dans la chimiothérapie un peu classique, mais de la médecine personnalisée. On essaye de faire au mieux, en tenant compte des préférences du patient.