L’hypertension artérielle peut-elle causer des lésions neurologiques responsables de l’apparition de démence ou de la maladie d’Alzheimer après 50 ans ? C’est la thèse avancée par des chercheurs de l’Inserm et du Department of Epidemiology and Public Health du University College London.
Dans un article paru dans la revue European Heart Journal, ils suggèrent qu’à 50 ans, une tension élevée mais en-dessous du seuil de diagnostic de l’hypertension pourrait être associée à une augmentation du risque de développer une démence et ce, même pour les personnes ne présentant aucune autre pathologie cardio-vasculaire.
"Les recherches antérieures n'ont pas été en mesure de vérifier directement le lien entre l'hypertension artérielle et la démence en examinant le moment choisi avec suffisamment de détails. Dans notre article, nous avons pu examiner l'association à l'âge de 50, 60 et 70 ans, et nous avons trouvé différents modèles d'association", explique le Dr Jessica Abell, principale auteure de l’étude.
Un risque de démence 45% plus élevé
Intitulée Whitehall II, l’étude a suivi plus de 8 600 personnes âgées de 35 à 55 ans en 1985, et dont la tension artérielle a été mesurée à quatre reprises entre 1985 et 2003. Parmi ces participants (dont 32,5% de femmes), 385 ont développé une démence dans les années précédant 2017 alors qu’ils étaient en moyenne âgés de 75 ans.
Les participants présentant une tension artérielle systolique de 130 mmHg ou plus à l'âge de 50 ans présentaient aussi un risque de démence de 45 % plus élevé que ceux qui avaient une tension artérielle systolique plus basse au même âge. En revanche, cette association n'a pas été observée à l'âge de 60 et 70 ans.
Fait intéressant : ce lien entre l'hypertension artérielle et la démence a également été observé chez les personnes qui n'avaient aucun problème cardiovasculaire pendant la période de suivi. Ces participants présentaient un risque accru de 47 % par rapport aux personnes dont la tension artérielle systolique était inférieure à 130 mm.
Une détection précoce de la démence
Comment expliquer ce lien entre démence et hypertension artérielle ? D’après les chercheurs, l’hypertension artérielle peut provoquer des accidents vasculaires cérébraux (AVC) silencieux ou miniatures, et dont les symptômes sont donc rarement perceptibles. Cette série d’accidents endommage en revanche la substance blanche du cerveau, qui contient de nombreuses fibres nerveuses, et restreint peu à peu l’afflux sanguin vers le cerveau. Ces dommages peuvent être à l’origine du déclin cognitif à partir de 50 ans.
Selon les chercheurs, cette découverte pourrait permettre de détecter de manière précoce les dommages cérébraux chez les patients souffrant d’hypertension lorsqu’ils sont encore indétectables autrement que par IRM et ne présentent aucun signe clinique de démence. Ces patients pourraient alors être ciblés plus tôt avec des médicaments dédiés afin de prévenir une détérioration supplémentaire de la fonction cérébrale. "Le problème est que les altérations neurologiques liées à l'hypertension ne sont généralement diagnostiquées que lorsque le déficit cognitif devient évident, ou lorsque la résonance magnétique traditionnelle montre des signes évidents de lésions cérébrales. Dans les deux cas, il est souvent trop tard pour arrêter le processus pathologique", souligne Giuseppe Lembo, le coordinateur de cette étude.
"Nous avons pu voir que, chez les sujets hypertendus, il y avait une détérioration des fibres de la substance blanche reliant les zones du cerveau typiquement impliquées dans l'attention, les émotions et la mémoire", poursuit Lorenzo Carnevale, ingénieur informatique et auteur de l'étude. "L'aspect à considérer est que tous les patients étudiés ne présentaient pas de signes cliniques de démence et, qu'en neuro-imagerie conventionnelle, ils ne présentaient aucun signe de lésion cérébrale. Bien sûr, d'autres études seront nécessaires, mais nous pensons que l'utilisation de la tractographie conduira à l'identification précoce des personnes à risque de démence, permettant des interventions thérapeutiques en temps opportun."
Si elle est développée, cette méthode de détection précoce pourra aussi s’appliquer à d’autres formes de maladie cardiovasculaires, précisent les auteurs de l’étude.