L’espoir d’un nouveau scandale sanitaire ou d’une "nouvelle affaire Mediator" a fait "sortir du bois" la presse en quête de scoops… voire de la route. En cause, une enquête à charge contre le Prolia, un des derniers anti-ostéoporotiques mis à disposition des médecins pour traiter l’ostéoporose-maladie et prévenir le risque de fractures.
D’après une étude réalisée dans l’hôpital de Lausanne (Suisse), ce médicament serait responsable d’une véritable "cascade" de fractures des vertèbres dans les mois qui suivent l’arrêt du traitement. Un comble pour un médicament censé les prévenir.
Les fractures à l’arrêt du traitement
Des fractures des vertèbres peuvent être observées lors de l’interruption de tous les traitements anti-ostéoporotiques et le risque est d’autant plus important que la densité minérale osseuse est basse à la fin du traitement ou qu’il existe des causes associées d’ostéoporose.
Ce risque de fractures à l’arrêt du traitement a même fait l’objet d’une présentation récente lors du dernier congrès de rhumatologie américain. Chez les malades qui gardent une densité minérale osseuse basse à la fin de la durée réglementaire du traitement, mais qui doivent faire l’objet de "vacances thérapeutiques" afin de laisser l’os refonctionner normalement, ces vacances devaient durer moins d’un an Pour éviter la récidive.
Le mode d’action joue un rôle
La plupart des traitements anti-ostéoporotiques actuels sont des médicaments qui visent à rendre les os plus résistants et moins susceptibles de fractures en bloquant les processus naturels de renouvellement de l’os : ce sont des "antirésorbeurs". Ils bloquent spécifiquement les cellules osseuses chargées de nettoyer l’os, les ostéoclastes, ce qui laisse l’avantage aux cellules chargées de fabriquer de l’os, les ostéoblastes, avec une augmentation de la densité osseuse modeste.
Le problème est qu’en bloquant trop longtemps les ostéoclastes, les antirésorbeurs limitent le renouvellement de l’os et en altèrent la qualité sur le long terme : il n’est donc pas possible de prolonger ce traitement au-delà de la durée validée dans les études sous peine d’exposer le malade à des complications rares, mais observées dans le passé, comme les fractures atypiques de l’extrémité supérieure du fémur ou aux ostéonécroses de la mâchoire, toutes 2 en rapport avec un fonctionnement anormal de l’os.
Un autre anti-ostéoporotique est un dérivé de la parathormone qui est lui, à la fois antirésorbeur et hyper-remodeleur osseux. Tous ces traitement on démontré dans de bonnes études leur capacité à réduire les fractures ostéoporotiques dans plus d’un cas sur 2.
L’enquête à charge
Les "études" qui mettent en cause le Prolia (denosumab), et qui sont relayées dans divers quotidiens, sont des articles qui ne font que rapporter des dossiers de malades, plutôt mal documentés. On y apprend que dans une série rétrospective, 9 malades sur 200 auraient eu plusieurs fractures vertébrales dans les 9 à 16 mois suivant l’arrêt d’un traitement par dénosumab (ayant duré de 1 à 4 ans). Certains malades avaient déjà pris des bisphosphonates avant et d’autres en ont pris après.
Le Tscore initial est le plus souvent très bas (-2.8 à -4.5), lorsqu’il est documenté, et reste inférieur à -3 ds à la fin du traitement, dans la moitié des cas. Sauf exception, on n’a aucune idée du bilan phosphocalcique initial des malades et le bilan réalisé après ne permet pas d’éliminer une maladie osseuse fracturaire associée.
L’hypothèse avancée par les auteurs est celle d’un "effet rebond" avec une hyper-activité des ostéoclastes à l’arrêt du traitement.
Les autorités de régulation analysent le dossier
Les agences du médicament européenne et française sont au courant de ces cas sur un risque potentiel de fractures vertébrales multiples mais n’ont pas pu établir de lien de causalité entre ces fractures et l’arrêt de ce traitement.
Un suivi national de pharmacovigilance avait été initié en France en 2011 par l’ANSM lors de la mise sur le marché du Prolia. L’agence européenne avait fait une analyse de ces risques en 2016 sans pouvoir conclure. L’ANSM a donc déclenché une enquête de pharmacovigilance dont les résultats pourraient être connus à l’automne.
Les sociétés savantes française (SFR et GRIO) se sont saisies du sujet et recommandent pour le moment d’instaurer après l’arrêt du Prolia un traitement par bisphosphonate oral ou injectable en relais et pour une durée de 6 à 12 mois.
Le Prolia est-il différent des autres antirésorbeurs ?
Nous disposons de 2 types d’anti-ostéoporotiques antirésorbeurs Le Prolia (denosumab), un anticorps anti-RANK spécifique, et les bisphosphonates, qui sont des molécules qui vont se mettre dans l’os.
Lorsqu’il y a une résorption osseuse, les bisphosphonates sont libérés de l’os par les ostéoclastes et, à partir d’une certaine concentration, détruisent ces cellules. L’effet des bisphosphonates peut se prolonger plus ou moins longtemps en fonction du turn-over osseux et de la puissance de la molécule.
Le Prolia, à l’inverse va directement bloquer un récepteur sur les ostéoclastes, comme si l’on appuyait sur un interrupteur, pendant 6 mois. Il a un effet puissant, rapide et qui s’arrête tout aussi brutalement. Il est possible d’imaginer un effet rebond si ce traitement s’accompagnait d’une multiplication des ostéoclastes, ce qui n’est pas démontré, mais par contre, la reprise d’activité des ostéoclastes après arrêt du denosumab est certainement plus rapide qu’après bisphosphonate.
Que retirer de tout cela ?
Ces cas de fractures multiples après arrêt du traitement sont rares mais existent donc avec tous les traitements anti-ostéoporotiques. Concernant le Prolia, ces fractures ont été rapportées dans plusieurs « registres rétrospectifs », un type d’étude grevé de nombreux biais et qui n’a pas la valeur scientifique des essais cliniques contrôlés dont dispose par ailleurs le Prolia. Il faut donc considérer cela comme un signal, ce que les agences de régulation et les médecins font.
Ces fractures surviennent dans un tout petit nombre de cas et le ratio entre le bénéfice du traitement contre les fractures ostéoporotiques et les effets secondaires reste très largement favorable pour les agences du médicament. Il n’y a donc pas de raison actuelle de remettre en cause ce traitement.
Y a-t-il un problème spécifique avec le Prolia ?
Est-ce que ces fractures multiples sont liées à un "effet-rebond" avec hyper-remodelage osseux ? C’est difficile à dire mais en tout cas, la reprise d’activité des ostéoclastes après arrêt du Prolia est certainement beaucoup plus rapide qu’avec les bisphosphonates.
Il faut, par ailleurs, garder à l’esprit que les cas rapportés de fractures sont survenus chez des malades qui avaient en majorité des densités minérales osseuses très basses et que le Prolia a été instauré selon son AMM, en 2e intension, c’est-à-dire après échec (ou contre-indication d’un bisphosphonate), ce qui correspond à un stade tardif et à des malades plutôt sévères.
Or, un T score très bas depuis longtemps s’accompagne nécessairement d’une raréfaction de la trame interne de l’os (les « trabéculations » qui sont comme des entretoises dans une charpente). Cette faiblesse architecturale, ajoutée à la baisse de quantité d’os, a déjà été signalé comme étant une cause d’échec des traitement anti-ostéoporotiques de type antirésorbeurs. D’autre part, la qualité des dossiers cliniques des malades ne permet pas toujours d’exclure une maladie osseuse fracturaire associée et responsable d’une ostéoporose secondaire qui nécessite d’autres traitements.
En pratique
En attendant les résultats de l’enquête de pharmacovigilance de l’ANSM, il convient de suivre l’AMM du Prolia, de ne pas prolonger anormalement la durée du traitement, d’éventuellement relayer le Prolia par 6 à 12 mois d’un traitement bisphosphonate, en particulier si le remodelage osseux est élevé à l’arrêt du Prolia (taux de Crosslaps élévé) et surtout de disposer d’un bon bilan phosphocalcique avant traitement afin d’exclure une maladie fracturaire osseuse responsable d’une ostéoporose secondaire… et d’éviter de se poser des questions insolubles après.
Le Prolia est un des rares médicaments anti-ostéoporotiques réellement efficace qui nous reste (il n’y en a plus que 4 !). En attendant un véritable traitement ostéoformateur que les médecins appellent de leur vœux, traitement qui risque d’être difficile à valider, des informations partisanes sur les médicaments inquiètent inutilement des malades à risque de fractures et forcent les médecins à des explications sans fin qui allongent les temps de consultation devenus rares.