Les lentilles de contact sont des produits jetables mais pas de vulgaires kleenex. Pour preuve, ces dispositifs médicaux ne sont normalement vendus que sur prescription médicale. Cette pratique risque pourtant d’être remise en cause. Un projet de loi (1) qui devrait être débattu en septembre prévoit de rendre facultatif l’avis médical pour le port de lentilles de contact. Ce changement pourrait même intervenir plus tôt que prévu puisqu’un projet d’arrêté est en cours de rédaction.
Le 11 avril dernier, les représentants des ophtalmologistes, des opticiens et de la contactologie ainsi que les principaux sites de e-commerce en optique ont même été convoqués en urgence au ministère de la Santé pour donner leur avis sur ce projet de texte. Il stipule que « lors de la première délivrance de lentilles correctrices à un patient, le professionnel vérifie que l’adaptation des lentilles correctrices a été réalisée préalablement par un professionnel de santé habilité. Pour les personnes âgées de moins de seize ans, cette délivrance est subordonnée à une prescription médicale en cours de validité. » Autrement dit pour les plus de 16 ans, le passage par l’ophtalmologiste ne serait plus obligatoire.
Ecoutez le Dr Jean-Bernard Rottier, président du syndicat national des ophtalmologistes de France (Snof) : « Le projet de loi parle de « professionnel habilité ». Mais, ce professionnel peut aussi bien être un opticien, un orthoptiste ou un ophtalmo ».
Si le gouvernement passe à la vitesse supérieure dans ce dossier, et a décidé de ne pas attendre le mois de septembre, c’est parce que la Commission européenne somme la France de clarifier sa législation en matière de vente en ligne de lentilles de contact. Et la menace d’une forte amende plane au-dessus de nos têtes. Mais, pour Jean-Bernard Rottier, président du Snof, « cette mesure, sous couvert de simplifier la vie des consommateurs, pose un problème majeur : il supprime le contrôle médical. Or, c’est ce contrôle qui permet d’éviter des complications liées au port de lentilles. Et ces complications peuvent être très graves. »
Ecoutez le Dr Jean-Bernard Rottier : « Le fait de devoir passer chez le médecin ancre la lentille comme un produit médical, et pas comme un tee-shirt. Les complications peuvent aller jusqu’aux greffes de cornée. »
Une étude à paraître prochainement, réalisée dans 21 CHU ou hôpitaux régionaux français, montre bien que le port de lentilles n’est pas anodin. « Les porteurs de lentilles non adaptés et non suivis par un ophtalmologiste, ont six fois plus de risques de développer une complication infectieuse sous lentilles », rapporte le Dr Evelyne Le Blond, présidente de la société française des ophtalmologistes adaptateurs de lentilles de contact (Sfoalc). Cet article montre également l’importance de l’information des porteurs dans la prévention des complications, ajoute-t-elle dans un communiqué. Or, à l’heure actuelle, sur les sites internet, l’information écrite est donnée, mais sans garantie de lecture. Les patients internautes qui, pour accéder à la page de commande des lentilles n’ont qu’à cocher « j’ai lu les informations », avouent ne pas les lire ».
La Fédération nationale des opticiens de France (Fnof ), elle, temporise. « Dans l’arrêté, il n’est pas question de supprimer l’ordonnance, insiste Alain Gerbel, président de la Fnof. Par ailleurs, les lentilles de contact ont toujours été en vente libre. L’ordonnance est demandée pour le remboursement et seulement dans certains cas de prescription. »
Jean-Bernard Rottier confirme que l’ordonnance n’est pas une obligation, mais « cela relève des bonnes pratiques ». En clair, pour les opticiens, l’idéal consiste à passer par l’ophtalmologiste pour l’adaptation des lentilles de contact, mais « à condition que les Français n’attendent pas un an pour avoir un rendez-vous chez un ophtalmologiste ».
Ecoutez Alain Gerbel, président de la Fédération nationale des opticiens de France (Fnof) :« Si demain, les ophtalmologistes s’engagent à recevoir tous les Français dans un délai d’un mois, je veux bien que l’on rende la prescription médicale obligatoire ».
Les études montrent, par ailleurs, qu’à l’occasion d’une consultation toute simple pour prescrire des lunettes ou des lentilles de contact, plus d’un tiers des patients ressortent en ayant un diagnostic de maladie ophtalmologique, parfois grave.
(1) Le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine de la santé (Ddadue).