"Quand je ne dors pas, le lendemain, je n’ai pas de force dans les bras et dans les jambes, je perd la mémoire, j’ai très mal à la tête, les yeux qui brûlent, des nausées ainsi que de terribles maux de ventre". Marie-Bénédicte Adda, 51 ans, est insomniaque depuis 26 ans. Elle peine à s’endormir, se réveille plusieurs fois par nuit et très tôt le matin, au point de rarement cumuler 5 heures de sommeil consécutives.
"Alors que je dormais très bien, mes nuits blanches ont commencé à la naissance de ma première fille, sans que je ne m’explique jamais pourquoi", se souvient très précisément cette professeure des écoles. S’en suivront trois graves dépressions. Professionnellement, la première la pousse à démissionner de son poste de cadre commercial, la troisième à travailler à mi-temps, suite à sa reconversion. "Quand vous ne dormez pas du tout trois nuits de suite, faire face à une classe est extrêmement difficile. C’est vraiment le cancer de ma vie", décrit-elle.
Maladie des coronaires et AVC
Comme Marie-Bénédicte, 73% des Français déclarent se réveiller au moins une fois par nuit, et 36% affirment souffrir d’au moins un trouble du sommeil (insomnie, apnées, syndrome des jambes sans repos…). Parmi eux, seulement 18% suivent un traitement. Des chercheurs de l'Onassis Cardiac Surgery Centre (Grèce) viennent pourtant d’établir que la durée d’une nuit idéale devait être comprise entre six et huit heures de sommeil. Les petits dormeurs (moins de 6 heures) ont un risque accru de 11% de développer ou de périr d'une maladie des coronaires et d'un AVC.
Une autre cohorte de 3 974 adultes, présentée par le Spanish National Centre for Cardiovascular Research (CNIC) de Madrid, a également prouvé que les personnes qui dormaient moins de six heures par nuit ou qui se réveillaient à plusieurs reprises pendant leur sommeil développaient plus d'athérosclérose asymptomatique. Les hommes d'âge moyen dormant moins de cinq heures par nuit doublent aussi leur risque de maladie cardiovasculaire grave, selon l'université suédoise de Göteborg.
"Les gens ne font pas de leur sommeil une priorité"
Une privation de sommeil chronique a par ailleurs été associée à la prise de poids, l’obésité, la contraction d’infections, le développement des cancers du sein et de la prostate (hormono-dépendants), l’hypertension ou encore la dépression. "Depuis une quinzaine d’années, les lourdes conséquences physiques et psychologiques du manque de sommeil sont désormais prouvées. Le problème, c’est que ce message n’est pas passé auprès du grand public. Les gens ne font pas de leur sommeil une priorité, alors que ça devrait être un temps incompressible du quotidien", déplore le Dr Sylvie Royant-Parola, présidente du Réseau Morphée, psychiatre et médecin spécialiste du sommeil. "Quand on ne dort pas bien sur une longue période, et qu’on ne comprend pas pourquoi, il faut consulter", insiste-t-elle.
Reste ensuite à trouver le bon traitement, ce qui est loin d’être évident. Sport, alimentation, médicaments, hypnose, acupuncture, thérapies comportementales et cognitives, relaxation, méditation… "J’ai quasiment tout essayé", raconte Françoise Rousseau, professeure d’allemand et secrétaire de l’association de patients France Insomnie (1). "Cela marche un temps, parfois pendant des années, et puis ça cesse de fonctionner. Alors, on cherche d’autres alternatives ; le but est surtout de limiter la prise de médicaments, qui assomme et est mauvaise pour la santé à long terme".
Altération de la qualité de jugement et somnolence
A 61 ans, elle sait, comme sa collègue, dater très précisément sa première insomnie. "J’avais 17 et demi. Je n’ai pas dormi la veille de mon baccalauréat, et plus jamais bien depuis. Pourtant, j’étais bonne élève. Impossible par la suite de réussir mes concours. J’avais des insomnies toutes les nuits pendant des mois, malgré les médicaments, ce qui diminuait mes facultés intellectuelles."
Depuis, les journées difficiles ont été nombreuses, combinant mauvaise humeur, altération de la qualité de jugement et somnolence, surtout l’après-midi. Suite à une mauvaise nuit, impossible de prendre une décision importante ou de conduire plus de trois heures sans s’arrêter pour dormir. "Le risque immédiat est en effet l’accidentologie, au travail ou sur la route", confirme le Dr Sylvie Royant-Parola, avant d’identifier le stress comme la principale cause du manque de sommeil chronique des Français. De quoi donner à réfléchir sur l’origine de ce déséquilibre biologique, qui touche principalement les 30 - 45 ans.
1) France Insomnie est une association loi 1901 nationale instituée en mars 2016, à l’initiative de patients insomniaques et de professionnels de santé spécialistes du sommeil. Elle a pour objet de fédérer les personnes physiques ou morales autour des troubles du sommeil liés à l’insomnie et promouvoir la reconnaissance de l’insomnie et sa prise en charge.