"Pendant plusieurs mois, les malades ignoraient qu’on avait changé le médicament. C’est un dossier extrêmement douloureux car il concerne un grand nombre de personnes", plaide Me Jacques Lévy. Par son intermédiaire, 42 plaignants ont assigné, lundi 10 septembre, le laboratoire Merck devant le tribunal de grande instance de Toulouse. Ils réclament 15 000 € au titre du préjudice d’anxiété et la même somme pour le préjudice moral, ainsi que le maintien de la commercialisation de l’ancienne formule du levothyrox et la réalisation d’une expertise, afin de pouvoir fixer le préjudice corporel subi par les patients.
De son coté, l’avocat du laboratoire Me Antoine Robert a demandé au tribunal de rejeter l’ensemble de ces demandes. Il estime les préjudices n’étaient pas démontrés dans la majorité des dossiers présentés. Le tribunal de grande instance de Toulouse rendra sa décision le 5 novembre.
Effets secondaires indésirables
L’affaire du Levotyrox a commencé en février 2017, lorsque la formule du médicament a été changée. Cette modification a consisté à remplacer le lactose, qui enrobait l'hormone thyroïdienne, la lévothyroxine, par du mannitol. Cette modification avait été demandée par l’Agence de médicament (ANSM) afin de garantir la stabilité du produit dans le temps, ce qui n'était pas le cas avec l’ancienne formule.
Problème : les malades ont ressenti des effets secondaires indésirables (fatigue, maux de tête, insomnie, vertiges, douleurs articulaires, musculaires et chute de cheveux). Au total, 17 000 cas d’effets secondaires ont été recensés, parmi lesquels 5062 ont été classés comme graves et 14 décès ont été comptabilisés par l'ANSM, sans qu’un lien direct avec la nouvelle formule puisse être formellement établi. Selon le ministère de la Santé, 500 000 personnes auraient abandonné la nouvelle formule du médicament.
Effet nocebo
Dans un rapport tout récemment remis à la ministre de la Santé Agnès Buzyn, l’équipe du docteur Gérald Kierzek et Magali Leo ont identifié sept problèmes récurrents dans ce genre de crise. Parmi eux, "l’absence d’anticipation" des pouvoirs publics, "l’absence de réaction aux nombreux signaux facilement repérables sur la Toile", le moment "mal choisi" pour communiquer, et la "minimisation du ressenti des malades et de la légitimité de leurs signalements". "L’effet nocebo a très vite été évoqué pour expliquer des effets secondaires […] Même un tel effet ne saurait disqualifier la réalité des plaintes exprimées par les milliers de patients", précise le rapport.
A partir de 2019, le laboratoire Merck prévoit de commercialiser la nouvelle formule du Levothyrox dans 21 pays de l’Union européenne. "Plusieurs rapports officiels d’expertise publiés ces derniers jours permettent d’attester une nouvelle fois de la qualité de la nouvelle formule du Lévothyrox® et de conforter les 2,5 millions de patients français qui, depuis plus d’un an, ont trouvé leur équilibre thyroïdien grâce à elle. Cette confiance renouvelée dans la nouvelle formule du Lévothyrox® en France fait également écho à l’avis positif rendu au niveau européen, le 18 juillet, après une phase d’évaluation approfondie dans le cadre de la procédure réglementaire visant à permettre à 21 Etats-membres de commercialiser la nouvelle formule du Lévothyrox®", indique l’entreprise dans un communiqué.
Disponibilité de l’ancienne formule
L’Espagne, où de nombreux patients français insatisfaits de la nouvelle formule avaient pris l’habitude de s’approvisionner, est aussi concernée. De fait, le médicament thyroïdien ne sera plus disponible nulle part en Europe, puisque les 7 pays non concernés par la mesure, comme l’Italie, commercialisent des compositions légèrement différentes. Le Conseil d’État a par ailleurs rejeté la demande de patients français qui réclamaient en urgence des mesures pour assurer la disponibilité de l’ancienne formule. Aujourd’hui, quatre concurrents au Levothyrox nouvelle formule sont disponibles : L-thyroxin Henning, Thyrofix, L-thyroxine SERB et TCAPS.
En juin, la cour d’appel de Toulouse a confirmé la condamnation prononcée en novembre qui ordonnait aux laboratoires Merck de délivrer "sans délai" l’ancienne formule du médicament à 25 patients de Haute-Garonne. Le troisième rapport de pharmacovigilance sur le Levothyrox, dévoilé début septembre par l’Agence du médicament, ne permet toujours pas d’expliquer la vague des effets indésirables attribués par certains patients à la nouvelle formule de ce médicament pour la thyroïde.